Dans un monde de la pêche qui peine à trouver des matelots, de nombreux travailleurs migrants et travailleurs détachés sont employés sur les bateaux de pêche, que ce soit au sein du secteur de la pêche industrielle ou de la pêche artisanale. Pleine Mer s’intéresse à ces dynamiques, qui peuvent engendrer des injustices et des discriminations vis-à-vis des travailleurs migrants, qui peinent souvent à faire reconnaitre leurs droits.
En Juillet 2020, nous avons participé à la rédaction d’un article à propos des interactions entre pêche et migrations, écrit avec nos collègues du Transnational Institute.
Voici l’introduction de cet article :
« C’était fin Juillet, au large des côtes Libyennes lors d’une marée de fin de nuit qu’ils ont entendu les cris désespérés. Une fois qu’il a pu y voir plus clair, le capitaine Carlo Giarratano a rapidement réalisé que la petite embarcation prenait l’eau, et que les 50 réfugiés à bord, sans carburant ni nourriture, avaient seulement quelques heures avant que leur radeau précaire soit totalement dégonflé. « Aucun être humain, marin ou pas, ne leur aurait tourné le dos »: en réfléchissant à la situation, Carlos a vite compris que « Si tu décides de traverser la mer dans des conditions pareilles, ça signifie que tu veux mourir. Ça veut dire que ce que tu laisses derrière toi est bien pire, c’est l’enfer.1
Les pêcheurs italiens ont donné aux passagers transis le peu d’eau et de nourriture qu’ils avaient à bord et ont coordonné le sauvetage de leur bateau, qui a été ramené au port en Sicile. Pour ce geste d’humanité, Carlos risque une amende de 50 000 € ou même la prison, à cause du ministre de l’intérieur Mattéo Salvini qui a mis en place une interdiction de ramener des migrants à terre sans autorisation.2 Mais selon Carlo « Aucun marin ne serait capable de retourner au port sans la certitude d’avoir sauvé ces vies. Si j’avais ignoré ces appels à l’aide, je n’aurais jamais eu le courage de retourner en mer. »3 Pêcheur de père en fils depuis trois générations, il ne vit que par la solidarité des gens de mer : « en mer, la vie d’une autre personne a la même valeur que ta propre vie ».
Cependant, tous les bateaux de pêche ne suivent pas ces principes. Selon une enquête du Guardian « L’exploitation de travailleurs étrangers est un secret de polichinelle dans l’industrie de la pêche irlandaise » et, la pêche illégale ainsi que l’esclavage moderne ont mis en danger l’avenir de cette industrie »4 Dans le même temps, les Centre pour les Droits des Migrants en Irlande explique : « L’exploitation est une conséquence le pendant d’un environnement à haut risque : les longues heures et la fatigue affectent la capacité des travailleurs à réagir et à répondre à des situations dangereuses. Les insultes et le racisme de certains patrons indiquent que la sécurité et la vie des travailleurs migrants et celles des locaux n’ont pas la même valeur. »5
Comment comprendre les réalités diverses qui se trouvent à l’intersection entre pêche et immigration en Europe ? Cette première tentative entend chercher à comprendre les différentes interactions entre les personnes exilées et le secteur de la pêche, afin de contextualiser ces questions en fournissant un rapide état des lieu des changements structurels du secteur de la pêche en Europe, qui auraient un impact sur les questions suivantes : qui migre, qui pêche et dans quelles conditions ? Bien que cette première exploration ne puisse en aucun cas donner des réponses définitives à toutes ces questions, l’idée est cependant de mettre en lumière ces questions et les opportunités politiques à l’intersection entre pêche et migration en Europe, afin de poser une première pierre pour de futures recherches et actions collectives.6«