Tartare de saumon, sashimis, saumon fumé, poke powl … le saumon se retrouve à toutes les sauces. Et pourtant, derrière ces plats que nous consommons presque au quotidien, se cache une industrie aberrante autant sur le plan écologique que social. Le saumon serait-il le pire produit de la mer à consommer ? Découvrez dans cet article ce qui se cache derrière l’industrie du poisson préféré des français.
L’explosion de l’aquaculture
Alors que le nombre de poissons sauvages capturés par les pêcheries globales stagne depuis 1996 et diminue un peu chaque année, le nombre de poissons élevés dans des fermes aquacoles explose. Nous vivons l’essor de l’aquaculture à un rythme effarant.
Aujourd’hui la moitié des poissons consommés dans le monde est issue de l’aquaculture. C’est-à-dire que 1 poisson sur 2 que nous mangeons chaque année est issu de l’élevage et n’a pas été prélevé dans son milieu naturel.
Le développement de l’aquaculture vient répondre à la demande en poisson de la part des consommateurs. Celle-ci ne fait qu’augmenter depuis les années 60, à un rythme deux fois plus rapide que l’augmentation de la population humaine… Nous sommes certes plus nombreux, mais nous sommes surtout plus gourmands.
Et en plus d’être plus gourmands, nous devenons très exigeants et sélectifs. Car malgré la diversité des espèces de poissons qui peut être élevée, seulement une poignée d’espèces vedettes domine la production, répondant à des attentes très spécifiques des consommateurs.
L’espèce de poisson la plus élevée dans le monde est le saumon Atlantique. À lui seul, il représente près d’un tiers de la production totale de poisson en aquaculture : en 2020, ce sont presque 3 millions de tonnes qui ont été “produites”.
Avec presque 3 kg de saumon consommé par personne chaque année, la France prend la deuxième place du podium en ce qui concerne la consommation de saumon dans le monde. Allez chez le poissonnier, le « healthy » café, le boulanger, le restaurant de poke bowl ou de sushi, et vous aurez votre option au saumon : nous le mangeons à toutes les sauces, à tous les repas et sous toutes ses formes.
Malgré notre grande consommation de saumon, nous importons la majorité depuis la Norvège. La Norvège est le deuxième exportateur de poissons au monde et son marché favori est l’Union Européenne.
Le développement de l’aquaculture est souvent considéré comme nécessaire afin de répondre aux enjeux de surpêche et de surexploitation des populations sauvages de poissons, tout en répondant à celui de la sécurité alimentaire d’une population humaine croissante.
Malheureusement, l’aquaculture telle qu’elle existe aujourd’hui, cause plus de problèmes qu’elle n’en résout. Et pour ne pas mettre tous les poissons dans le même filet, disons plutôt que l’aquaculture de saumon, ne répond à aucun des enjeux globaux : elle ne s’inscrit en rien dans une démarche de transition écologique ou de justice sociale, et au contraire, développe ses propres problématiques biologiques, écologiques, géopolitiques, sociales, sanitaires, éthiques…
Dans cet article, découvrez l’envers du décor de votre sashimi ou de votre sandwich au saumon fumé : nous vous emmenons au sein de l’industrie d’élevage de saumon. Comprenez ses rouages et son impact néfaste à la fois sur les saumons, les espèces de poissons sauvages, les écosystèmes marins, et les êtres humains.
Serrés comme des sa…umons
Vous avez sûrement en tête ces images chocs d’élevage de poulet de batterie, élevés dans des énormes poulaillers, les uns sur les autres (morts ou vivants), où ils n’y voient ni la lumière du jour ni l’herbe fraîche, avec une alimentation spécifique pour accélérer leur croissance afin de maximiser le rendement et engendrer plus de profit…Et bien, l’élevage de saumon n’est pas très différent.
Les saumons, des animaux à la base « sauvages », qui parcourent des milliers de kilomètres à la nage, entre océans et rivières, remontant les courants des fleuves pour venir frayer, sont finalement entassés dans des cages, destinés à tourner en rond en attendant leur sentence finale.
Les concentrations de saumon dans les cages sont très élevées. La moyenne mondiale est de 80 kg de saumon par mètre cube d’eau. Sachant qu’un saumon atteint une taille marchande à 2 kg, on vous laisse imaginer ce que représentent 40 saumons dans 1m3 d’eau….
Au-delà des problèmes éthiques évidents découlant d’un tel entassement d’êtres vivants, de graves problématiques sanitaires et écologiques se posent.
Un risque sanitaire
Une telle proximité des individus favorise le développement de maladies et de parasites et surtout une contamination rapide au sein de toute la cage. Il est très commun que des milliers d’individus meurent d’un coup, se retrouvant flottants à la surface de leur cage (et destinés à être jetés); ou que leurs chairs soient attaqués par les poux de mer. Pour lutter face à ces risques pathologiques, de nombreux médicaments sont utilisés dans l’alimentation des saumons.
Ainsi, ce sont des quantités astronomiques d’antibiotiques qui sont utilisées pour traiter les saumons. Les substances chimiques se dispersant facilement à la fois dans l’eau et dans la chair des animaux, le risque de créer une résistance antibiotique chez l’être humain est fortement élevé.
Pour aller plus loin : regardez le reportage de France24 sur les parasites des fermes de saumon https://www.france24.com/fr/émissions/focus/20210930-écosse-les-ravages-sanitaires-de-l-élevage-intensif-des-saumons (4minutes)
Des conséquences sur tout l’environnement marin
Une autre conséquence de l’entassement massif des saumons est celle de l’accumulation de leurs excréments dans les cages et dans l’environnement autour… un peu moins glamour d’un coup notre tartare de saumon, non ?
L’accumulation d’excréments dans les cages s’étale sous les cages, contaminant les fonds marins et les espèces benthiques (mollusques, crustacés…) qui y vivent. Les fonds marins sous les cages se transforment alors en une sorte de soupe verte, privée d’oxygène, où la vie a du mal à se développer. Ces zones sont aussi appelées « zones mortes »…
Puis il y a également le cas des saumons qui s’échappent…
Si les saumons se reproduisent avec les saumons sauvages, ils risquent de les mettre en danger car ils sont adaptés à d’autres conditions et peuvent rivaliser ou diminuer la survie des individus sauvages, ainsi que les contaminer avec certaines maladies et parasites développés en cage.
Dans d’autres cas où le saumon a été introduit (comme au Chili…), lorsque certains individus s’échappent, ceux-ci sont considérés comme une espèce invasive. N’ayant pas évolué dans ces eaux là, ce prédateur ne fait pas face à d’autres prédateurs au dessus de lui et est donc en capacité de décimer les autres espèces, mettant une pression sur les espèces locales et les stocks de populations sur lesquels les pêcheurs locaux dépendent (et non, malheureusement, les pêcheurs locaux Chiliens n’ont pas le droit de pêcher les saumons qui s’échappent car c’est la propriété privée de l’industrie aquacole….).
Du poisson sauvage pour nourrir nos poissons en cage
« L’aquaculture viendra répondre à la sécurité alimentaire globale ! ».« En plus, l’aquaculture permettra de préserver les populations sauvages de poissons et ainsi mieux préserver l’océan ! ».
Bien qu’alléchantes, aucune de ces promesses n’est tenue par l’élevage de saumon…. Les problématiques qu’elles souhaitent résoudre en sont même aggravées.
Et cela pour un fait simple : le saumon est un poisson carnivore. Il se nourrit d’autres poissons.
Pour se développer en aquaculture, il a donc besoin d’une alimentation riche en protéines qui lui sont fournies via … de la farine et de l’huile de poisson extraites de poissons sauvages.
Pêcher des poissons sauvages pour nourrir des poissons en cage ? C’est le comble. Et pourtant…
Les espèces de poissons utilisées pour faire de la nourriture de saumon sont principalement des espèces de « poissons fourrage » : anchois, sardines, harengs… des petits poissons pélagiques qui jouent un rôle vital pour les écosystèmes marins et l’ensemble des espèces marines : ils transfèrent de l’énergie à travers le réseau trophique, depuis les producteurs primaires jusqu’aux espèces des niveaux supérieurs, notamment les mammifères marins, les oiseaux de mer et de plus grosses espèces de poissons.
C’est ainsi que s’est développée la pêche minotière : une pêche industrielle intensive qui vide les eaux de l’Afrique de l’Ouest ainsi que du Chili et du Pérou afin d’alimenter l’industrie aquacole.
Chaque année, ces espèces représentent environ 20-25% des poissons pêchés dans le monde. Ce sont des vingtaines de millions de tonnes de poissons pêchés chaque année qui sont détournées de la consommation humaine directe (majoritairement détournées des populations locales de pays en développement qui en dépendent pour leur apport en protéine) pour venir nourrir les industries aquacoles des pays développés.
Etudes de cas de l’Afrique de l’Ouest – ou le néocolonialisme au service de “l’économie bleue”
Chaque année, ce sont 500 000 tonnes de poissons fourrage (principalement des sardines et des bongas) qui sont extraites le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest – en Gambie, Mauritanie et au Sénégal – et qui sont transformées en farine et huile de poisson à destination de l’industrie aquacole étrangère.
Le nombre de poissons fourrage exploités pourrait nourrir plus de 33 millions de personnes dans la région : les communautés côtières de Mauritanie, du Sénégal et de Gambie ainsi que les communautés vivant à l’intérieur des terres comme au Mali ou au Burkina Faso. Ces populations dépendent de ces ressources comme leur principale source de protéines animales et voient donc leur sécurité alimentaire menacée.
Beaucoup de pêcheurs artisans locaux, pêchant en pirogue depuis des générations, se font virer de leur zone de pêche par des navires industriels étrangers ayant acquis des accords de pêche pour venir exploiter les eaux africaines.
Lorsqu’ils ne se font pas virer par les navires industriels, les pêcheurs locaux vendent leur marchandises aux usines étrangères installées dans leurs pays (environ 50 usines de transformation de poissons en farine sont installées en Gambie, Mauritanie et au Sénégal).
Les usines appartenant à des groupes étrangers peuvent se permettre d’acheter le poisson aux pêcheurs locaux à un prix bien plus cher que ce que les populations locales peuvent se permettre. Les femmes qui depuis des générations salent les poissons et les revendent pour une consommation directe par les communautés locales ne peuvent alors pas rivaliser, et abandonnent leur travail.
L’Union Européenne est le principal exportateur de farine de poisson depuis l’Afrique de l’Ouest, la grande majorité allant nourrir les saumons en cage… Paradoxalement, ce sont plus de 6 millions d’euros qui ont été alloués par l’UE pour développer l’aquaculture en Europe dans le cadre du « Green Deal ».
Le but ? Participer à la transition écologique et répondre à la sécurité alimentaire de l’Europe. Mais ce développement se fera difficilement sans l’exploitation et l’accaparement des ressources africaines pour venir nourrir une aquaculture gourmande en poisson sauvage.
Pour aller plus loin, regardez le documentaire Fish for Feed (FR) : https://vimeo.com/646036991/39861a55f0?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=1386551
Une industrie au détriment des êtres humains
Un des bénéfices du développement de l’aquaculture souvent mis en avant par l’industrie elle-même est celui de la création d’emploi. En effet, de nouvelles fermes qui se développent signifie que de nouveaux « fermiers » vont devoir s’occuper des poissons en cages. Ces emplois sont souvent pénibles et peu rémunérés, et peu gratifiants…
Plonger sous les cages de saumon pour nettoyer leurs excréments dans une eau dépourvue d’oxygène et de vie, assommer des saumons à la chaîne en usine, entasser dans des containers les centaines de saumons morts dues à une épidémie … ça vous dit ?
Pour mieux comprendre les enjeux sociaux des travailleurs de l’industrie aquacole, regardez le documentaire Salmonopoly (EN, sous-titres FR) : https://www.youtube.com/watch?v=ZJ4yZioGd04
L’industrie de l’élevage de saumon ne profite pas à tous. C’est une industrie qui fonctionne sur un modèle capitaliste : exploitation des ressources naturelles et du travail humain pour faire profiter une poignée d’individus ! Pourtant ce n’est plus un secret : ce modèle s’épuise et nous épuise.
La production française à la rescousse ?
Français ou norvégien, le saumon de l’Atlantique reste la même espèce : un poisson carnivore qui a besoin d’être alimenté avec un régime riche en protéine. Et les problématiques qui y sont liées et qui ont été évoquées tout au long de cet article ne diffèrent pas d’une région du monde à l’autre….
Pour autant, plusieurs industriels étrangers cherchent à s’implanter en France, là où le marché se trouve afin d’offrir du « bon produit français ».
Aujourd’hui, la société Pure Salmon cherche à installer une ferme de production de saumon au Verdon-sur-mer, à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. Environ 2 millions de saumons par an seraient élevés en intérieur. L’eau des cages y serait traitée par une station d’épuration qui rejetterait une eau « quasiment potable » dans le milieu marin.
Le projet était initialement prévu à Boulogne-sur-mer. L’annonce de la société avait provoqué la révolte de plusieurs associations et élus locaux qui se sont opposés à ce projet qui artificialise les terres, surexploite les ressources en eau et pollue le milieu marin (entre autres). Le projet avait donc été abandonné suite au manque de soutien local.
Un autre projet de ferme de saumon française, par Smart Salmon, a été abandonné à Plouisy (Côtes-d’Armor) suite à l’opposition d’un millier de personnes qui s’étaient mobilisées sur plusieurs mois pour dénoncer la folie écologique de ce type de projet.
Alors que le projet en Gironde risque de voir le jour, il est urgent de se mobiliser et de s’indigner contre ces groupes industriels étrangers qui souhaitent s’installer avec comme objectif pur de créer du profit, au détriment des écosystèmes vivants et des êtres humains.
Pour en savoir plus sur ces projets français, écoutez l’émission de Camille passe au vert, de France Inter (décembre 2022).
Des saumons végétariens ?
La dépendance des fermes de saumons sur les populations de poissons sauvages tels que les poissons fourrages a des conséquences désastreuses, comme évoquées plus haut.
Serait-ce possible de trouver une alimentation alternative ?
Les pôles R&D des industries se penchent sur la question depuis des années afin de trouver d’autres sources d’alimentation. Une des propositions est de se tourner vers des alternatives végétales, notamment à base de soja… souvent cultivé en Amazonie.
Bon… déforester l’Amazonie n’est pas forcément mieux que de décimer des populations sauvages de poissons. Entre la peste et le choléra, vous choisissez quoi vous ?
Source végétale ou source animale, la problématique reste similaire : pourquoi accaparer des ressources alimentaires qui pourraient être directement utilisées pour la consommation humaine plutôt que de les transformer en granulés alimentaires pour nourrir nos aquariums géants ?
Et le saumon sauvage ?
Depuis toujours, la plupart des fleuves français étaient côtoyés par des saumons sauvages qui les remontaient pour venir frayer. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quelques survivants dans la Loire et dans l’Adour. Où sont-ils passés, ou plutôt que s’est-il passé ?
Entre la destruction de leur habitat par la construction de barrages hydroélectriques, la pollution de l’eau par les industries aux alentours, ou leur surexploitation directe pendant des années, les saumons sauvages français ont vu leur populations s’effondrer.
Il semblerait que manger du saumon sauvage français ne soit pas vraiment une option non plus…
Du coup on mange quoi ?
Le saumon d’élevage est bien l’un des pires produits de la mer à consommer, d’un point de vue biologique, écologique, éthique, sanitaire, social….Mais du coup, on mange quoi ?
Nous avons la chance de vivre dans un monde où les espèces consommables sont diverses et où nous avons le choix.
Changez vos habitudes et consommez d’autres espèces de poissons : choisissez des espèces dont les populations ne sont pas surexploitées, qui sont de saisons, pêchées avec des engins de pêche respectueux des écosystèmes marins et surtout pêchées par des artisans.
Soutenez une pêche française, non commandée par les industriels, qui ne pillent les ressources de personnes et ne vident pas les mers de leurs poissons.
Consommez les petits poissons tels que la sardine, le maquereau, l’anchois ! Transformez-les en délicieux repas plutôt que de les laisser se faire transformer en farine de poisson.
Et si vous souhaitez vraiment consommer du poisson d’élevage, choisissez des poissons qui sont tout sauf carnivores.
Pour vous aider, vous pouvez retrouver notre carte interactive pour trouver tous les points de vente en circuits courts qui existent près de chez vous afin de consommer du poisson de manière locale et responsable.
Vous pouvez également acheter votre poisson directement en passant commande avec Poiscaille et recevoir chez vous des produits issus d’une pêche française et durable !
N’oubliez pas que les choix d’alimentation que vous faîtes ont un impact sur tout le monde qui vous entoure. Vous avez aujourd’hui les clés en main pour comprendre et faire votre choix en conscience !
Rédigé par Louise-Océane Delion
Réferences – Pour aller plus loin
Greenpeace (2021) Feeding a monster : How European aquaculture and animal feed are stealing food from West African communities. Available at: https://www.greenpeace.org/static/planet4-africa-stateless/2021/05/47227297-feeding-a-monster-en-final-small.pdf
FAO. 2022. The State of World Fisheries and Aquaculture 2022. Towards Blue Transformation. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cc0461en
Cashion, T., Le Manach, F., Zeller, D., & Pauly, D. (2017). Most fish destined for fishmeal production are food?grade fish. Fish and Fisheries, 18(5), 837-844.
Fish for Feed – fish grabbing in Africa (2021, FR sous-titres EN) https://vimeo.com/646036991/39861a55f0?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=1386551
Salmonopoly (2017, EN sous-titres FR)
Écosse (2021) : l’envers de l’élevage intensif de saumons https://www.france24.com/fr/émissions/focus/20210930-écosse-les-ravages-sanitaires-de-l-élevage-intensif-des-saumons
collectif dourioù gouez PLOUISY : contrairement à ce qui est indiqué dans l’article ci dessus le projet de smart salmon n’est nullement abandonné, les élus de GUINGAMP PAIMPOL AGGLOMERATION se sont désengagés du projet mais le permis de construire et le dossier icpe sont toujours à l’instruction, la préfecture de SAINT BRIEUC a renvoyé au mois de juin un dossier de 25 pages à Smart salmon pour qu’ils modifient le projet initial
Bonjour, merci pour ces précisions, nous allons modifier l’article tout de suite. Où en est la lutte contre le projet ? Des mobilisations prévues ?