Les Paniers Solidaires sont nés du confinement, en solidarité avec les producteurs et les personnes en difficultés. Ils sont portés par l’association Manalia, qui défend une approche transversale et touche à tout : concerts et créations artistiques, ateliers manuels, musicaux, créatifs en tout genre pour les enfants, pour les personnes agées… de tout pour tous dans une joyeuse ambiance. Parmi les ateliers proposés dans son « Atelier Révolution », Rue Révolution à Sète, on y trouve, entre yoga, capoeira, massages et communication non-violente, des ateliers de découpe de poisson. Comme les Paniers Solidaires permettent de commander des « pochettes surprises » de la pêche du Mas Henri (https://mashenri.fr/), l’idée, c’est de donner quelques clés pour préparer ces poissons. Voilà le récit qu’en a fait Xenia Marcuse, suite au premier atelier du mois de juin, dans le journal sétois L’Ancre.
En juin dernier, je suis allée m’initier à la découpe du poisson cru, un savoir-faire bien en lien avec notre territoire.
Le soleil de juin découpe de grands carrés de lumière à travers les baies de l’Atelier Révolution. Au milieu de la pièce, une table couverte d’une toile cirée bleue, ponctuée de planches à découper jaunes. Sur le côté, une petite série de couteaux à filets. Ce matin là, nous sommes 5 élèves, enthousiastes.
Mostelles, uranoscopes et beaux pageots
« Là, on a une mostelle, c’est la même famille que le cabillaud. Il n’y a pas de cabillauds en Méditerranée, mais il y a des mostelles, la chair est assez proche, une texture assez molle, délicate à fileter. Ça, c’est un boeuf, de son vrai nom, uranoscope, ici, on l’appelle poisson boeuf, attention en le touchant, il y a des gros piquants. C’est très beau comme poisson. Ça, c’est une rascasse, beaucoup de piquants aussi. Pour manipuler ces poissons là, on les attrappe par les ouïes… »
Clément Calmettes, découvre avec nous, les participantEs de l’atelier Découpe de poisson cru, les différents poissons fournis par Kevin, du Mas Henri, au Barrou. « Et voilà des pageots. Ils ont tous été pêchés au filet. Le pêcheur va caler les filets le soir, et les poissons se piègent tous seuls dans la nuit, ce n’est pas un filet tracté. Et selon l’endroit où on va aller poser le filet, on va pêcher différentes espèces. »
« Les poissons ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Le pageot, il a quelques arrêtes. La mostelle, dans les filets qu’on va faire, il n’y aura pas d’arrêtes, par contre, la mostelle, quand on va la vider, elle sent très fort ! «
Clément nous explique comment choisir le poisson bien frais : « Là, les poisson ont 48h. Les couleurs sont magnifiques, ils ont encore un peu de mucus gluant, qui donnent un bel aspect brillant… ».
Il faut tous les regarder, en vérifier un seul ne suffit pas. Outre le brillant et la couleur, l’oeil brillant et bombé est un très bon signe de fraicheur. Chez un poisson moins frais, l’oeil va petit à petit s’affaisser, par déshydratation. La couleur des branchies, rouge vif ou bien rose, c’est important aussi. Quelques heures après sa mort, le poisson frais est encore tout raide. Ce n’est pas idéal, ni pour la découpe, ni pour la saveur; il vaut mieux attendre un peu.
La recommandation pour les professionnels à propos du poisson cru, c’est 48 h de congélation, avant consommation. Le risque : la contamination par un petit parasite, un ver, qui ne se développe pas chez l’humain, mais peut entrainer des réactions allergiques, des troubles intestinaux. (On ne compte qu’une vingtaine de cas repertoriés dans les 10 dernières années en France. )
La conservation est un sujet aussi. Le poisson ne se garde pas dans un sac plastique. Au frigo, si on veut le garder 3 jours on le pose sur une grille dans un plat creux avec des glaçons dessus, car le frigo lui même n’est pas assez froid. Nos congélateurs ne sont pas assez puissants pour congeler rapidement de gros poissons. Il vaut mieux découper le poisson froid en morceaux, et le mettre en plusieurs fois au congélateur. Pour les petits poissons, c’est en entier, avec les écailles. Garder les écailles permet de limiter le déssèchement.
Mais l’idéal, ça n’est pas de conserver le poisson, conclut Clément, « L’idéal, c’est quand même d’aller voir le pêcheur (ou la pêcheuse) de prendre ce qu’il y a même si ce n’est pas ce qu’on avait prévu et d’adapter la cuisine. »
Dans le vif du sujet
Aie ! Etape suivante : Apprendre à vider le poisson. Personnellement, ce n’est pas ce que je préfère… mais on s’y met. En tenant le poisson bien à plat sur la planche, on attaque à la pointe du couteau par l’anus et on ouvre le ventre jusqu’à la branchie, puis on pose le couteau et on introduit le pouce sous les tripes. On effectue un petit mouvement latéral de l’ongle pour retirer les petites attaches, et on retire toutes les tripes d’un coup.
Incroyable, je viens de vider un poisson en quelques secondes, très proprement, et sans le moindre effort. Même pas besoin d’eau pour rincer. D’ailleurs, l’eau douce fait perdre beaucoup de goût, pire, si l’eau est tiède, elle risque de cuire la chair fragile du poisson. Donc, pas de rinçage.
Les tripes, on ne les garde pas. Bon, certains foies se mangent. On peut par exemple faire une petite sauce exquise en écrasant quelques foies de rougets avec un peu d’ail, de safran, et un filet d’huile dans une petite casserole. On délaiera le tout avec un peu d’eau ou de bouillon de poisson.
On en vient à la découpe : La main gauche (si on est droitiEre) toujours bien à plat, on appuie fort sur le poisson posé sur la planche et on glisse sous la nageoire avec un couteau (bien aiguisé et à lame souple) ensuite, il faut trancher vers l’avant en allant bien jusqu’en haut de la tête et tout en bas, vers la gorge. Tout ça, sans découper l’arrête centrale. Ensuite on tourne le couteau vers la queue du poisson, en maintenant le contact avec l’arrête. On monte bien le couteau, pour commencer avec la partie de la lame la plus proche du manche. Et progressivement, sans aller-retour, on coupe le long de l’arrête centrale, de la tête à la queue, depuis la base de la lame vers la pointe du couteau. L’idéal, c’est d’avoir un seul coup de couteau bien fluide. On répète le mouvement pour lever le 2eme filet (mais c’est toujours un peu plus difficile). Sur certains poissons, un peu gros, on récupère sous l’oeil, la joue (qui est le muscle de la machoire).
Ne rien gaspiller
Quand on filète le poisson, on a pas mal de pertes. Une fois les filets retirés, on lèvera au couteau tous les petits morceaux pour les mettre à mariner sans tarder. D’autre part, avec tous les restes (tête, peau arrêtes) on fera un bouillon qui peut être congelé pour une autre fois. (Pour un risotto par exemple)
Après la démonstration de Clément, sur un joli pageot, on se met à la découpe. Bon, ce n’est pas facile, mais on est assez fièrEs et surprisEs du résultat. Personne ne se coupe.
On échange des conseils, l’une organise sa planche, un côté tripes, un côté propre, l’autre apprend à retirer la peau sans laisser d’écailles, on travaille le geste, pour obtenir des beaux filets, sans (presque) aucune arrête. On travaille même sans eau.
Dégustation
Pendant qu’on s’entraine, Clément, tout en gardant un oeil sur nos progrès fulgurants, prépare de petites collations, avec les restes, toutes les bribes de chair oubliées par nos couteaux.
3 bols, 3 recettes différentes avec des ingrédients fournis pour la plus part par Les paniers solidaires.
- Radis, sel, cébette, huile de noisette. Pas de citron, pas d’acidité, un poisson vraiment cru.
- Sauce soja, piment citron huile de sésame on peut rajouter un peu de gingembre rapé. Saveurs asiatiques
- Lait de coco, citron soja poivre de Timout et un peu de piment d’Espelette. Le piquant tempéré par la douceur du coco.
Il est presque midi, le soleil a tourné. Une fois les filets partagés entre les participantEs et réservés au frigo, on passe à la dégustation. Quelques soupirs de contentement, on se régale, on commente les saveurs et puis, comme on est en France, en mangeant, on parle encore de nourriture, la bouche pleine, on échange des recettes de cuisine. On rappelle de ne pas négliger les classiques, coriandre en feuilles fraîches, citron, huile d’olive, ou bien le céviche d’été, à l’oignon doux émincé très fin, et au citron vert. Variante d’hiver: la bergamote, un zeste d’orange.
ChacunE repartira de cet atelier magnifique l’estomac garni, avec une mine d’informations, l’ébauche d’un savoir faire, un sachet de filets de poissons crus et un bocal de bouillon savoureux.