En ligne avec…Karim Abdou Sall

En ligne avec…Karim Abdou Sall

Raconter la pêche artisanale et le quotidien des femmes et des hommes qui la pratiquent, c’est ce que nous vous proposons régulièrement dans la rubrique « en ligne », via un échange avec une personne engagée pour la transition vers une pêche durable. Aujourd’hui, nous échangeons avec Karim Abdou Sall, pêcheur artisanal au Sénégal.  Nous avions rencontré Karim, mi-novembre, après la diffusion du documentaire Razzia sur l’Atlantique, dans lequel il témoigne de la situation de la pêche au Sénégal.

Karim Abdou Sall

Le film Razzia sur l’Atlantique, se termine avec ces mots de Donald Tusk, président du conseil européen de 2014 à 2019 : «  D’où que vous veniez, ne venez pas en Europe, ne risquez pas votre vie votre argent, ça ne servira a rien» , comment réagis-tu à ces propos?

Les flottes étrangères, européennes, chinoises, détournent notre poisson et notre stabilité alimentaire, car nous sommes dépendants de ces ressources halieutiques. 

Ces poissons, beaucoup de petits pélagiques, sont transformés en farines pour nourrir ensuite les saumons élevage dans le nord de l’Europe ou des porcs ou des poulets en Asie.

Nous sommes dépossédés de nos ressources. Cela met en péril l’emploi de milliers d’hommes et de femmes. 

Il n’y a pas que le poisson qui disparaît … La disparition de nos ressources halieutiques a des conséquences sur le développement du Sénégal et au-delà. L‘Afrique se vide de sa jeunesse.

Peux-tu revenir sur ton parcours ?

Je suis né à Joal-Fadiouth au Sud de Dakar. J’ai 58 ans, j’ai été pêcheur toute ma vie.  Depuis plus de 40 ans, je suis à la pêche artisanale sur une pirogue en bois avec 6 à 8 pêcheurs, essentiellement aux casiers, aux filets dormants. 

En ligne avec…Karim Abdou Sall
Association pour la gestion intégrée des ressources naturelles de l’environnement (Agire). 

Quand j’ai démarré, Il y avait énormément de ressources dans les eaux sénégalaises. Nous partions le matin et nous rentrions le soir, la pirogue remplie de poissons. C’est d’ailleurs pour gérer ces ressources que les pêcheurs locaux ont créé la Plateforme des acteurs de la pêche artisanale du Sénégal (Papas) que je préside. Nous menions des actions pour la protection de la ressources, la lutte contre la pêche de juvéniles notamment.

La pêche était un secteur très actif au Sénégal. La très grande majorité des poissons était consommée localement. Mais le poisson se fait de plus en plus rare. Depuis plus de 30 ans, on le remarque. Nos stocks s’effondrent. Mais c’est de pire en pire. Je n’avais jamais vu ça, il y a  énormément de pirogues à vendre maintenant.

La mer, c’est toute notre histoire, notre vie, nous ne faisons qu’aller à la pêche. On perd notre patrimoine, notre culture, notre dignité. Les femmes qui transformaient ensuite le poisson, le séchaient le fumaient n’ont plus d’emplois elles aussi.

Au niveau local, comment continuez-vous à lutter ?  

En 2019, nous avons fondé l’association pour la gestion intégrée des ressources naturelles de l’environnement (Agire). 

En tant que pêcheur, nous devons aussi penser à préserver la biodiversité. Nous intervenons au niveau de l’Aire Marine Protégée de Joal-Fadiouth et luttons contre la disparition de la mangrove par le reboisement, l’immersion de récifs, l’apiculture (du miel de la mangrove est produit par exemple), l’ostréiculture. Ca participe à fixer les jeunes et valorise nos ressources naturelles. Nous travaillons avec plus d’une cinquantaine de jeunes. 

Recueilli par Céline Diais 

https://agiresn.org

Le sujet mériterait des pages et des pages, des heures d’entretien, de reportages et d’enquêtes. Nous nous contentons ici de ces quelques lignes, mais rendez-vous est pris pour y donner une suite.

En attendant pour s’informer sur le sujet, nous vous conseillons le documentaire Razzia sur l’Atlantique, de Nicolas Van Ingen. 

Le pitch :
Les eaux de l’Afrique de l’Ouest ont longtemps été parmi les plus riches de la planète. Mais depuis les années 1970, les flottes de pêche européennes, russes ou encore asiatiques ratissent cette partie de l’Océan Atlantique, le plus souvent en toute illégalité. Cette concurrence des chalutiers étrangers est terrible pour les pêcheurs artisans locaux. Face à l’effondrement de la ressource en poisson, ces derniers et leurs familles sont souvent confrontés à un dilemme terrible : « Barça ou barsack » (Barcelone ou la mort). Mais certains Sénégalais se battent et n’acceptent pas cette situation. Karim Sall, pêcheur syndicaliste, ou encore Diaba Diop, leadeuse syndicale des femmes transformatrices de poisson, luttent sans relâche pour faire entendre la voix des artisans de la mer auprès de l’Etat sénégalais comme des instances internationales.


Le film est disponible en accès libre sur la chaîne Public Sénat  jusqu’au 1er février 2026

https://www.publicsenat.fr/emission/documentaire/razzia-sur-latlantique-e0

Vous pouvez aussi retrouvez Karim Abdou Sall dans cet excellent webdocumentaire diffusé sur France 24 :  https://webdoc.france24.com/lodyssee-pecheurs-senegalais/chap5.html

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