Individualisme ou solidarité, services de santé gratuits ou privatisation du service public, prise en charge des plus démunis ou mise à sac des rayons de supermarchés … Autant de questions que la crise du Coronavirus remet à l’ordre du jour dans l’ensemble de la société mais aussi au sein de la filière pêche, comme en témoigne le courrier adressé à Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, par le instances représentatives de la filière.
En effet, une baisse des prix spectaculaire frappe les criées française depuis quelques semaines, en particulier pour la Coquille Saint-Jacques, comme en témoigne le communiqué de l’OPN de vendredi dernier : « Depuis une semaine, ce prix s’est progressivement affaissé à 2,10 €/kg pour finalement laisser près de 50% des apports invendus sur la journée d’hier, et à nouveau ce matin. Les rares propositions commerciales obtenues hier oscillaient entre 1,40 et 1,60 €/kg ». Les 3 Organisations de producteurs de la façade Nord (CME, FROM Nord, OPN) ont ainsi recommandé au CRPM de Normandie une fermeture anticipée d’une semaine de la pêche de la Coquille Saint-Jacques en Baie de Seine.
Une situation encore plus tendue en Baie de Saint-Brieuc, où les pêcheurs ont reçu vendredi un email du comité départemental dont l’objet était « INFO CSJ : annulation des pêches programmées à partir du lundi 16 mars 2020 ». Cette décision est motivée par la baisse des prix constatée par les OP COBREORD et LPDB, mais aussi par l’impossibilité pour les usines de décorticage d’assurer la première transformation des coquilles dans les conditions actuelles.
Un grand nombre de pêcheurs nous appellent depuis vendredi pour nous faire part de leur désarroi face à cette situation. De plus, il est difficile de prévoir la durée de cette crise et les impacts qu’elle aura sur l’ensemble de la filière : il se peut que les mareyeurs continuent de se désengager à cause du manque de débouchés, faisant augmenter le nombre d’invendus, ce qui pourrait aboutir à la fermeture de certaines criées … une perspective qui ne manque pas d’effrayer les professionnels. Dans ce contexte, il nous parait nécessaire de donner la parole aux pêcheurs qui nous ont sollicités :
- Comme nous nous acharnons à le répéter, la pêche est un système complexe. Dans le cas de la Coquille Saint-Jacques, différentes méthodes de pêche et de valorisation cohabitent sur les territoires en question. Les pêcheurs qui travaillent la Coquille Saint-Jacques en plongée sont 3 par bateaux, et la licence plongée les autorise à débarquer 400kg par marée, contre 1200 kg pour les bateaux travaillant à la drague. Dans la majeur partie des cas, ces entreprises de pêche ont opté pour des modes de valorisation en direct du consommateur, souvent par voie postale. Ainsi, ces entreprises ne dépendent pas du système des criées, ni des entreprises de décorticages, et elles dénoncent « une décision qui ne prend pas en compte leurs spécificités ».
- Pour aller plus loin, cette crise souligne l’importance de la diversité des modes de valorisation : dans la situation où les prix deviennent trop bas en criées, les entreprises qui pratiquent aussi la vente directe ou en gré à gré sont plus résilientes, car elles dépendent moins des prix du marché national et comptent sur leurs clients locaux. Cette résilience peut leur permettre de maintenir une activité au sein de la filière, si on leur laisse la possibilité de continuer à pêcher.
- Pour que des décisions telles que la fermeture de la campagne coquille soient prises, il est clair que le caractère démocratique du processus de prise de décision est fondamental. Or dans le cas présent, on entend les pêcheurs dénoncer « une décision autoritaire qui ne prend pas en compte la voix des concernés ». Certains vont même plus loin en accusant « les OPs et les mareyeurs de prendre des décisions à la place des pêcheurs ». Pour éviter ce genre de tensions, il est nécessaire de consulter les pêcheurs impactés par la prise de décision, et de leur donner les moyens de s’exprimer, en prenant en compte les spécificités de chaque métier, et ce même en situation d’urgence.
Il est clair que personne n’a de solution face à une crise qui concerne l’ensemble de la société. On peut cependant faire remonter les demandes suivantes de la part des pêcheurs :
- Différents aléas de la saison hivernale ont déjà fragilisé les entreprises de pêche. Les pêcheurs demandent donc au gouvernement « des mesures d’aide aux entreprises, comme par exemple un dispositif d’aide aux arrêts temporaires, afin de permettre aux entreprises de rester à flot »
- La filière pêche est complexe, et il est nécessaire d’encourager la diversité des modes de valorisation, afin de rendre l’ensemble du système plus résilient à ce type d’événement. En effet, les pêcheurs qui vendent leur production en direct du consommateur sont actuellement fragilisés, non pas par la baisse de la demande, mais par la non prise en compte de leurs spécificités, alors qu’ils représentent clairement un modèle de résilience inspirant.