Si l’on en croit l’agenda européen, les négociations du Brexit auraient dû s’achever hier. Comme beaucoup s’en doutaient, l’échéance est de nouveau retardée. Dans tous les cas, le premier ministre britannique a déclaré que les eaux anglaises seraient protégées par la British Navy à partir du 1er janvier. Pendant ce temps, les pêcheurs artisans français sont dans la tourmente et se demandent à quelle sauce ils vont être mangés.
Quelles conséquences du Brexit pour les pêcheurs français ?
Les négociations du Brexit bloquent actuellement sur le sujet de la pêche. En effet, la pêche est à la fois une des causes du Brexit, mais aussi un secteur qui sera fortement modifié selon l’accord qui sera trouvé. Pour l’heure, aucun accord n’a émergé, et la crainte d’un « no deal » est grande, en particulier chez les pêcheurs européens qui pourraient se voir privés d’accès aux eaux anglaises.
Dans l’hypothèse d’une fermeture des eaux Britanniques à partir du premier janvier prochain, les segments hauturiers (pêche au large) industriel et artisan seraient directement impactés. En effet les eaux anglaises concernent plus de 40% de l’activité de nombreux armements hauturiers, et jusqu’à 90% de l’activité de certains navires. En plus de ces conséquences directes, les pêcheurs côtiers craignent un report d’effort de leurs collègues hauturiers, ce qui occasionnerait plus de compétition sur la ressource, et des impacts écologiques et sociaux potentiellement importants.
Cependant, les britanniques exportent 70% des produits de leur pêche vers l’UE, qui pourrait appliquer des droits de douanes élevés suite au Brexit. Un accord est donc nécessaire pour satisfaire le gouvernement britannique et les gouvernements des pays membres de l’UE. Suite à cet accord, chaque pays pourra négocier des accords bilatéraux avec la Grand Bretagne, afin d’avoir accès à certaines zones de pêche »
Comme le résume Charles Braine, président de Pleine Mer : «Pour faire simple, si les britanniques veulent exporter leur poisson, ils devront permettre aux pêcheurs européens de pêcher dans leurs eaux. Malheureusement, on peut être sûr que le Brexit aura des conséquences sur l’accès aux eaux britanniques. Les pêcheurs hauturiers vont donc se rabattre sur des zones plus proches des côtes françaises, et entrer en compétition avec les pêcheurs côtiers. Des conflits d’usage sont à craindre, ainsi qu’une possible surexploitation des ressources dans certaines zones. Seule la négociation d’un accord de pêche bilatéral entre la France et la Grande Bretagne nous permettra d’y voir plus clair.»
« Les pêcheurs britanniques ont voté à 92 % pour le Brexit» »
Cette statistique choc issue d’un un rapport d’information de l’Assemblée nationale montre à quel point la souveraineté sur les zones de pêche est un problème très important pour les pêcheurs britanniques. Cependant, une sortie de l’UE va-t-elle véritablement permettre le « take back control » tant attendu par les pêcheurs britanniques ? Rien n’est moins sûr car le problème est ailleurs.
Comme l’explique Thibault Josse, chargé de mission de l’association Pleine Mer : «Il est certain que les pêcheurs anglais ont le sentiment d’être dépossédés de leurs quotas de pêche. En effet, 80% des quotas anglais sont détenus par des propriétaires étrangers ou des millionnaires britanniques. Mais ceci n’a rien à voir avec l’Union Européene. Le problème c’est que les quotas anglais sont répartis via un système de Quotas Individuels Transférables (QIT). Un système où les quotas de pêche sont mis sur le marché, ce qui favorise l’accumulation de ces quotas par les grandes fortunes. Ce système ne va pas changer avec le Brexit : les pêcheurs artisans sont floués par les industriels qui continueront à racheter les quotas, et par la droite populiste de Boris Johnson qui a instrumentalisé ce problème pour sortir la Grande Bretagne de l’Europe. Mais le problème de l’accaparement des quotas ne changera pas avec le Brexit »
En effet, une étude récente montre que deux tiers des quotas anglais sont contrôlés par 25 businessmen, et qu’un tiers des quotas appartient à seulement 5 familles. De plus, la moitié des quotas anglais appartient à des entreprises Néerlandaises, Islandaises ou espagnoles. Or, même après le Brexit, les lois du libre marché seront les mêmes, le système des QIT aussi, et ces entrepreneurs étrangers resteront propriétaires de la majorité des quotas britanniques.
Le navire CORNELIS VROLIJK est un cas d’école : battant pavillon britannique puis namibien, il appartient en réalité à l’entreprise néerlandaise du même nom. Ce chalutier géant de 113 mètres accapare 23% des quotas anglais. 23% des quotas pour un seul navire. On peut comprendre la frustration des pêcheurs britanniques.
Charles Braine, président de Pleine Mer, déclare : « Plutôt que d’instrumentaliser la colère des pêcheurs français et le sentiment nationaliste, les institutions dites représentatives de la pêche françaises feraient mieux d’expliquer le problème des QIT et de se positionner clairement contre cette méthode de répartition des quotas. De plus, des entreprises comme Cornelis Vrolijk ou Parleviet Van der Plaas possèdent aussi des armements français comme France Pélagique ou la compagnie des Pêches. Les pêcheurs artisans français ont donc les mêmes problèmes que les pêcheurs britanniques. Reste à savoir où aboutiront les négociations, mais dans tous les cas les pêcheurs artisans français et britanniques sont tous victimes des politiques ultralibérales»
Thibault Josse, chargé de mission de Pleine Mer conclut : « Le Brexit aura des conséquences directes sur la pêche hauturière française, et des conséquences indirectes de report d’effort dans la bande côtière. Les membres de Pleine Mer prennent le sujet très au sérieux. Il faut garder en tête que, même en cas de ‘No Deal’ des accords de pêche bilatéraux seront ensuite négociés entre la Grande Bretagne et les pays européens. Il y a donc de grandes chances que l’accès aux eaux britanniques soit préservé pour une partie de la flotte de pêche française … reste à savoir dans quelles proportions. »
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