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Communiqué de presse – 26 mai 2020 : journée nationale du thon rouge

Communiqué de presse – 26 mai 2020 : journée nationale du thon rouge

Communiqué de presse – NON A LA PRIVATISATION DES QUOTAS DE THON ROUGE !

Nous sommes aujourd’hui le 26 mai, premier jour de la campagne thon rouge pour les thoniers senneurs méditerranéens : 22 navires industriels qui vont se partager 4 781 tonnes de thon rouge sur les 6 026 tonnes allouées à la France, alors que de nombreux pêcheurs artisans, fortement éprouvés par la crise du Coronavirus et qui auraient bien besoin de cette espèce pour survivre, seront dans l’impossibilité de le pêcher.

Stock fortement menacé dans les années 2000 par une surpêche généralisée des thoniers industriels en Méditerranée, le thon rouge de Méditerranée et d’Atlantique Est s’est formidablement restauré et bénéficie d’un encadrement extrêmement strict. La problématique aujourd’hui n’est donc plus celle de la préservation du stock mais celle du partage de la richesse entre les différents segments de la pêche française. Que chacun puisse bénéficier de la ressource de thon rouge avec une politique de répartition équitable et une gestion stable, voilà l’objectif de centaines de pêcheurs artisans sur tout le littoral français. Malheureusement les médias, les dirigeants politiques et les ONGs semblent plus préoccupés par la survie du thon rouge que par celle des pêcheurs artisans !

C’est pour ces raisons qu’un collectif de structures représentatives de pêcheurs artisans a dénoncé en juin 2017 auprès du Conseil d’Etat les modalités de répartition du quota de thon rouge. Toujours en attente du jugement, les pêcheurs attendent énormément de la justice française et espèrent qu’un jugement favorable permettra de rétablir enfin un peu de justice dans le sujet de la répartition des quotas en France, qui souffre d’une opacité intolérable !

Suite à l’appel du 26 mai 2020, des centaines de pêcheurs artisans se sont mobilisés sur tout le littoral pour faire de cette journée la journée nationale du thon rouge. Ils seront nombreux aujourd’hui à informer le grand public sur cette injustice, lors de ventes directes dédiées au thon rouge, sur les réseaux sociaux, ou encore dans les médias. Les cinq portraits suivants illustrent autant de situations injustes, qui se comptent par centaines sur les côtes françaises.

Répartition des quotas de thon rouge entre les différents métiers pour la France en 2020

Romain Vergé, ligneur breton

Romain Vergé a 41 ans, il est ligneur à Belle-île depuis peu. Une nouvelle installation pour un pêcheur qui n’en est pas à ses débuts, lui qui a débuté sa carrière de pêcheur professionnel à 28 ans et qui a déjà plusieurs vies derrière lui assurément. Diplômé en gestion des pêches, il est passé par l’Ifremer avant d’affronter plusieurs défis. Le premier, de taille, traverser l’Atlantique à la rame, pour en prime, remporter la course en 40 jours. Le deuxième, s’installer comme ligneur* dans les eaux tumultueuses de la mythique Chaussée de Keller à Ouessant dès son retour des Antilles avec son bateau acheté avant la traversée…

Malheureusement, les années 2010 voient la ressource de bar subir une rapide dégradation, et Romain se retrouve embarqué à contrecœur dans une spirale infernale : compenser la diminution de la ressource par toujours plus de matériel, de technologie, de temps de pêche… Très loin de la philosophie qui l’a accompagnée durant son installation : pêcher peu mais pêcher bien, c’est-à-dire sélectionner de beaux poissons, capturés un à un dans des conditions favorables. Comme il le dit : « Je préfère pêcher 20 kg de beaux poissons plutôt que 200 kg capturés à la chaîne, sans passion ».

*Initialement utilisé pour désigner ceux qui pêchaient avec une ligne manipulée à la main et dotée d’un ou plusieurs hameçons, il désigne par extension les navires qui pratiquent l’ensemble des métiers utilisant des hameçons : canne, ligne, palangres.

Le constat était là : il avait perdu le sens de ce qu’il était venu chercher… C’était le moment de faire un break et de reprendre le large : partir en mission pour les Terres Australes, gérer un refuge sur le Mont Blanc … avant de revenir en 2019 à ce qui fait son ADN : la pêche. Un petit passage dans les Côtes d’Armor et le voilà à Belle-île, avec la ferme intention de rester fidèle à ses principes : exercer une pêche à petite échelle, ou plus exactement à l’échelle de son territoire. Pour Romain, le pêcheur est un acteur intégré à son environnement naturel et social. Il recherche la palette la plus large d’espèces, à la fois pour préserver les ressources halieutiques et pour offrir aux habitants une grande diversité d’espèces. Eviter de pêcher la même espèce toute l’année permet de diminuer la pression sur cette dernière, c’est rechercher un point d’équilibre entre l’homme et le milieu marin.

Les espèces qu’il compte cibler sont donc nombreuses : merlan, sars et dorades, bar, tacaud, maquereau et bien sûr thon rouge… Vous aurez compris qu’il ne souhaite pas en pêcher des tonnes… « une dizaine de poissons tout au plus », ce qui représente environ une tonne… On est très loin de la pêche industrielle pratiquée par les thoniers senneurs…

Cette philosophie de la pêche, c’est pour lui une façon de transmettre un message humaniste auprès des citoyens, mettre en valeur l’humilité du pêcheur face à la mer, et son souhait de pratiquer un métier avec le moins d’impact possible sur le milieu.

Yann Leberichel, ligneur aux Sables d’Olonne

Yann Leberichel est ligneur depuis 10 ans aux Sables d’Olonne, d’où il est originaire. Il a grandi avec la mer comme une seconde maison, le vent et les vagues pour créer une multitude de jeux, et les poissons comme compagnons. Il a découvert la pêche très tôt mais devenir pêcheur n’a pas été si évident« c’est dur quand on est pas issu du milieu ! » «Se lancer tout seul dans ce métier, c’est trop risqué »… Ses proches n’étaient pas forcément très enthousiastes … Heureusement, sa route a croisé celle d’Alain, un patron pêcheur des Sables, qui l’a encouragé et conforté dans son choix.

Avec un navire de petite taille, donc un investissement raisonnable, nul besoin de « pêcher toujours plus » pour gagner sa vie. Sa zone de pêche, il la connait depuis toujours, et cela lui permet de filer ses palangres « au centimètre près » pour cibler précisément les espèces qu’il recherche, principalement le bar et le maigre, qu’il traque du début du printemps jusqu’à la fin de l’automne.

A son installation, le bar se portait encore bien, en tout cas suffisamment pour ne pas devoir multiplier les heures, le matériel à l’eau… Avec six palangres* de trente hameçons chacune, disposées à quelques minutes du port, cela suffisait pour revenir avec 30 – 35 kg de bars, et dégager un salaire correct. Mais ces dernières années, ce n’est plus six mais vingt palangres qu’il faut mettre à l’eau, et même bien placées, elles ne permettent bien souvent de ne remonter qu’une dizaine de kg de bar…

Avec la crise du Coronavirus, il a perdu la moitié de son chiffre d’affaires sur les premiers mois de la saison qui sont d’ordinaire ses meilleurs mois de l’année. Le bar sur lequel repose la pérennité de son entreprise a vu ses prix de vente chuter, notamment pour les gros bars, ceux qu’affectionnent les restaurants, qui se vendent actuellement moins de 10 € le kg. Une misère comparée aux prix d’avant, largement au-dessus des 20€/kg…

Depuis 4 ans, lorsque l’été est bien installé, Yann observe chaque année de plus en plus de thons. Certaines chasses* ont lieu dans très peu de fond, chose qu’il n’observait jamais avant… Alors dans ces conditions, avoir les thons rouges qui sautent à plus d’un mètre à côté du bateau et ne pas pouvoir en capturer, c’est une absurdité totale !

Depuis plusieurs années, il fait sa demande d’AEP* (Autorisation Européenne de Pêche) thon rouge auprès de son Comité des Pêches des Pays de la Loire. C’est un euphémisme que de dire qu’il n’est pas encouragé par ceux qui sont censé le représenter… « A quoi bon demander l’AEP, tu ne l’auras jamais ! » Voilà en substance le genre de réponses qu’on lui fait, c’est dire le peu de cas que les représentants professionnels font de leurs adhérents…

Et pourtant, disposer de quelques tonnes de quota de thon rouge pour les ligneurs des Sables leur permettrait de « créer un marché au niveau local » afin de soutenir les prix payés aux producteurs et d’offrir un poisson d’excellente qualité aux consommateurs.

*la palangre est une technique de pêche consistant à déposer sur le fond ou en pleine eau une ligne garnie de plusieurs dizaines d’hameçons avec différents appâts : petits poissons, calmars ou crabes.

*l’AEP est une autorisation de pêche limitée dans le temps pour une zone et/ou une pêcherie. Sans elle, le navire ne peut pas pêcher l’espèce concernée ou sinon en respectant des limitations spécifiques.

Pascal Berrouet, ligneur à Saint-Jean-de-Luz

Pascal Berrouet a 55 ans, il est ligneur à Saint-Jean de Luz dans le Pays Basque. Lui aussi, il a « baigné dedans » depuis tout gamin, et la pêche s’est imposée à lui de façon très naturelle.

Merlu, louvine (bar), civelle, thon blanc (germon) et rouge, voilà les espèces sur lesquelles le « Sans Peine » de Pascal et ses deux matelots reposent. Le merlu est l’espèce phare de la flottille des ligneurs du Pays Basque, un poisson à la chair fine que seule la ligne permet de sublimer… C’est plus de la moitié de son chiffre d’affaires qui en dépend, mais comme toujours à la pêche, l’espèce se montre parfois capricieuse. Il n’est pas rare que « ça coupe » en plein milieu de l’été. Plus de merlu à pêcher, et le thon rouge qui nargue les pêcheurs…

Depuis toutes ces années qu’il fait la pêche, le thon rouge n’a jamais été aussi abondant. « Quand le thon rentre à la côte, d’ici une quinzaine de jours, on le voit sauter partout autour du bateau, et ça jusqu’au mois d’octobre ! On est littéralement envahi de thons ».

Le thon rouge, Pascal l’a vu revenir à partir de 2010. Au début, c’était surtout des petits thons, la « matraille » comme ils les appellent au Pays Basque. Aujourd’hui, les thons qu’ils observent sont largement plus gros, jusqu’à 60 – 80 kg. « Bien sûr, ce ne sont pas des thons de 200 kg comme ceux de Méditerranée » dit Pascal, mais l’augmentation de la taille, c’est pour nous un indice que le stock se porte de mieux en mieux.

Quant aux autres espèces, les conditions sont loin d’être au beau fixe. Le bar qui se pêchait très bien en été il y a 5 ans est aux abonnés absents : de 2 à 3 tonnes par an en 2015, Pascal n’a pu en remonter que 200 kg l’an dernier… une misère …

On comprend que dans ces conditions, ne disposer que de 200 kg de quota de thon rouge pour 3 marins, c’est dur. Et pourtant, Pascal pourrait largement pratiquer une pêche ciblée, durable et locale de cette espèce. Cela lui permettrait de pallier aux périodes de disette lorsque le merlu ne mord plus, ou à la raréfaction du bar sur ses zones de pêche.

Mais 200 kg c’est loin d’être assez pour permettre à un navire de se lancer à la poursuite du thon rouge et passer parfois plusieurs jours sans pêcher le moindre poisson … Avec trois hommes à bord, il faudrait au moins 2 ou 3 tonnes de quota pour permettre une exploitation rentable.

Seule maigre consolation, Pascal dispose d’une AEP thon rouge, comme la plupart des ligneurs basques. Une AEP sans quota, encore une absurdité de l’administration. « C’est grâce à certains qui ont bataillé dur et harcelé les structures professionnelles pour nous obtenir les AEP, sinon ils ne nous les auraient jamais donné ».

Franck Romagosa, pêcheurs aux petits métiers à Saint Cyprien

Franck Romagosa est pêcheur aux petits métiers à Saint Cyprien, sur le PETIT DAMIEN, une vedette de 9 mètres. 7 ans déjà que Franck se bat pour obtenir une AEP (Autorisation Européenne de Pêche) thon rouge. Franck ne demande pas la lune : une tonne de quota par an pour les petits métiers serait suffisante selon lui : « Une tonne par an, ça permet de pêcher en moyenne 1 thon par semaine. Avec un thon par semaine, vendu localement, on peut générer 35 000 € par an, ce qui va permettre d’employer un matelot et donc de générer de l’emploi local. De plus, en pêchant le thon rouge, on diminue la pression sur les autres espèces de poisson »

Malgré son combat, Franck n’a toujours pas obtenu d’AEP thon rouge. La délivrance de nouvelles AEP se limite à quelques dizaines par an pour plusieurs centaines de demandes. Les candidats sont triés sur le volet…  Ainsi, le critère de la taille de son bateau, de la première installation ou de l’âge du capitaine sont autant de conditions prioritaires pour l’obtention du précieux sésame.  A un an de la retraite, inutile de préciser que Franck est plutôt mal classé pour être lauréat… Il dénonce un système d’attribution qui n’est pas transparent, voire discriminant à l’égard des pêcheurs les plus anciens : « Dans les faits, comme je suis proche de la retraite ils ne veulent pas me donner d’AEP, alors que certains qui sont déjà à la retraite conservent leur AEP. C’est un système assez opaque et le meilleur moyen pour avoir du quota … c’est le piston ! ». Le syndicat des pêcheurs petits métiers d’Occitanie (SPMO) dont il fait partie souhaite revoir les critères de délivrance des AEP afin de donner une chance aux plus anciens qui renouvellent chaque année leurs demandes depuis parfois plus de 10 ans … sans succès. Le SPMO dénonce également les détournements du système qui permettent à un même armateur de détenir plusieurs AEP sous des noms de sociétés différentes et confiées à de jeunes gestionnaires prioritaires.

D’autres pêcheurs aux petits métiers soulignent aussi les aberrations du système : « Le thon rouge pêché par les senneurs avec le quota français n’arrivera jamais sur le marché français : tout est vendu au Japon ! Et avant ça les thons sont engraissés dans des cages au sud de l’Espagne, avec du poisson bleu pêché par des chalutiers géants au large des côtes africaines ou de la mer du nord. Pendant ce temps-là le consommateur français mange du thon tropical que l’on va piller au large des Seychelles. C’est une série d’injustices pour les pêcheurs artisans locaux ». L’industrie du thon rouge qui représente une manne économique considérable pour une vingtaine de navires, n’apporte strictement rien à l’économie locale, si ce n’est quelques emplois de marins un mois par an, le temps de la saison de pêche !!

Pourtant, comme le disent tous les pêcheurs artisans, le thon rouge serait un véritable cadeau pour l’économie locale : « Un thon rouge vendu en tranches à l’étal ou en circuits courts, ça permettait de faire connaitre aux gens un produit magnifique, de dynamiser de nombreux commerces, et ça sauverait certaines entreprises de pêche en difficulté.”. Le thon est présent partout, au plus près des côtes, dans des concentrations jamais vues auparavant. Il est là, il n’y qu’à se baisser pour le pêcher, mais c’est interdit pour Franck et pour la grande majorité des petits métiers, faute d’AEP en nombre suffisant et d’une concentration trop importante des quotas.

On pêcherait les thons un par un, à la canne, en relâchant ceux qui sont trop petits, et en préservant la ressource. Mais au lieu de cela on préfère engraisser des milliardaires en leur donnant des milliers de tonnes de quota». En effet, depuis plusieurs années, les armateurs de thoniers industriels qui détiennent déjà 90% du quota français, notamment en ayant préempté les quotas attribués au segment des petits métiers, se voient offrir des centaines de tonnes supplémentaires « grâce » au système des antériorités de capture : ceux qui ont le plus pêché sur des années de référence sont ceux qui obtiennent le plus de quota, un système de répartition inéquitable, qui donne la prime aux industriels au détriment des pêcheurs artisans.

Franck ne peut s’empêcher d’être nostalgique du temps où il pêchait le thon rouge avec son père, « à une époque où le thon n’était pas engraissé dans des cages mais débarqué sur le quai, et où l’économie locale profitait de ce cadeau donné par la mer ». Les temps ont bien changé, mais combattre les injustices faites aux pêcheurs artisans reste une priorité et le combat des petits métiers pour le thon rouge n’est pas encore fini…

Les pêcheurs mobilisés aujourd’hui ne souhaitent pas en rester là ! Nous appelons les responsables politiques à prendre leurs responsabilités : ce système de répartition injuste n’a que trop duré. Tous les pêcheurs, acteurs de la filière, consommateurs, élus qui se reconnaissent dans cette cause doivent faire front pour amplifier le mouvement : il est temps que le quota de thon rouge soit réparti de manière équitable et nous continuerons à mener des actions en ce sens dans les mois qui viennent.

Les pêcheurs du « Collectif Thon Rouge »

Les membres de la Plateforme Française de la Petite Pêche Artisanale

Contact : Ken Kawahara / : 06.25.10.32.95

Les membres de l’Association Pleine Mer

Contact : Thibault Josse / 06.29.10.47.76

1 commentaires :

  1. Francois dit :

    merci pour cet excellent article ! En fait, ce qui est profondément immoral et choquant, c’est qu’un petit nombre d’individus riches et puissants ( = les proprios des thoniers-senneurs et leurs copains, cousins, …) deviennent encore plus riches et puissants en puisant dans une ressource commune (les thons rouges de Méditerranée) et vendent ces thons rouges à des engraisseurs qui ensuite les vendent au Japon. L’horreur, c’est cela: prendre les poissons d’une mer pour les vendre à des milliers de km à des gens au gros pouvoir d’achat. La justice serait que les thons rouges de Méditerranée soient consommés par les habitants des pays qui bordent Mare Nostrum !

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