En ligne avec…François Spinec

En ligne avec…François Spinec

Raconter la pêche artisanale et le quotidien des femmes et des hommes qui la pratiquent, c’est ce que nous vous proposons régulièrement dans la rubrique « en ligne », via un échange avec une personne engagée pour la transition vers une pêche durable. Aujourd’hui, nous échangeons avec François Spinec, l’un des derniers pêcheurs de l’île de Sein (Finistère).

Comment êtes-vous devenu marin-pêcheur ?

C’est une histoire de famille. Je suis allé à l’école de pêche à 14 ans, à Audierne. A 15 ans, j’en suis sorti. J’ai commencé comme mousse. J’ai fait la marine de commerce au début pour couper le cordon avec la famille, changer d’horizon. J’ai traversé les mers du monde, vu 56 pays ; ça a duré cinq ans. Mais ma passion, c’était la pêche. Après mon service militaire, j’ai dit stop. Mon père prenait sa retraite. A 23 ans, j’ai repris son bateau Patience. Ce mot, ce n’est pas rien, c’est la principale qualité à posséder en tant que pêcheur. Il faut savoir attendre la marée, le temps. Surtout à Sein, il y a des courants, des contre-courants, des couloirs de courant. Si tu n’as pas cet apprentissage-là, tu mets du matériel dehors et tu risques de le perdre. Cinquante ans après, j’apprends toujours. C’est tellement complexe, cette lecture de la mer.

Au premier plan, le dernier bateau de François Spinec. Il s'appelle lui aussi Le Patience.
Ile de Sein, au premier plan, le dernier bateau de François Spinec. Il s’appelle Patience, comme son premier bateau.

A vos débuts, la pêche se faisait encore en partie à la voile ?

Oui, j’ai commencé comme ça avec mon père. On économisait le moteur dès qu’il y avait du vent. J’ai vu l’évolution des bateaux en très peu de temps, l’arrivée du moteur, le treuil mécanique, puis hydraulique, l’électrification. Au départ on relevait nos casiers, 3 par 3, à la main. Nous sommes passés à des filières de 20, 30, jusqu’à 100 casiers, avec un vire-casier automatique. Et les bateaux étaient de plus en plus puissants, plus grands, avec toujours plus de matériel à bord.

La capacité de pêche augmentait chaque année, mais pas la ressource. Ca ne peut pas durer, c’est ce que je ressentais.Les chalutiers travaillent la mer comme on travaille la terre, Ils labourent la mer comme on laboure la terre, mais ils oublient une chose : les cultivateurs sèment pour récolter et le chalut ne fait que ramasser, ramasser.

Vous, vous êtes toujours resté à la petite pêche ?

A Sein, historiquement, on pratiquait les casiers, la palangre, une pêche douce. Déjà dans les années 50-60, mon grand-père sur me disait, « il faut faire attention à la ressource ». A l’époque, nous étions 1300 habitants, et il y avait 350 inscrits maritimes, tous des pêcheurs. Le port était rempli de bateaux. Le poisson était séché et salé l’été pour pouvoir être consommé toute l’année. C’était l’une des seules ressources de l’île avec les légumes que cultivaient les habitants.

Alors, jeune pêcheur, j’ai continué comme mon père à la palangre. Nous n’avions ni sonar, ni GPS. Nous utilisions les marques de terre pour nous repérer, une ligne de sonde et au premier jusant, lorsque le courant changeait, les remous en surface indiquaient la ligne du banc de sable à 40- 45 mètres en dessous, où nous devions nous placer pour bien pêcher. Aujourd’hui avec toute la technologie à bord, on voit à plusieurs miles alentours où se trouve la nappe de poissons et à quelle hauteur. Les patrons règlent le chalut et n’ont plus qu’à cueillir le poisson. Comment la ressource peut-elle tenir ? La culture de la mer se trouve dans les ordinateurs maintenant.

Comment êtes-vous finalement devenu ligneur  ?

J’ai donc commencé à la palangre. Un jour, je reviens pour les relever. Rien. Un chalutier avait tout raflé. Rebelote quelque jours plus tard. Pour moi, c’était un métier terminé.

Je me suis reconverti au casier pour attraper du homard, de la langouste. Même mésaventure : 60 casiers disparus dans le cul d’un chalut. Une autre fois, 30, puis 60 casiers, etc. Bien énervé, je pars voir l’administrateur des affaires maritimes à Audierne. Je n’ai pas été écouté. Le patron d’un chalutier m’a même dit « à cette époque, on pêche du Saint-Pierre. On va continuer, ce n’est pas toi qui va nous empêcher de pêcher-là. » Personne n’a répliqué.

Chaque pêche est différente et chaque pêcheur défend sa façon de pêcher. Dans un même métier, il y a des conflits de métier, entre chalutier, ligneur, caseyeur, etc. On n’a jamais pu s’entendre.

Et moi, je me suis senti éliminé de la carte alors que c’est toi qui est respectueux de la ressource. Dans ces conditions, comment veux-tu ne pas être survolté contre les grands bateaux. C’est le plus fort qui gagne. Pourtant la surpêche nous impacte en premier, nous, les petits.

Finalement pour survivre, après la palangre et le casier, je me suis mis à la ligne (canne), jusqu’à la fin de ma carrière. Là encore, je me souviens d’un chalutier fonçant droit sur moi et embarquant ma ligne dans son chalut ! Pour m’en sortir, je pêchais surtout du bar. Nous les petits pêcheurs, on se débrouillait avec cette ressource. Maintenant, ça devient difficile. Il y en a de moins en moins. Dans mes dernières années, le poisson qui m’a sauvé, c’est le Saint-Pierre. Il se pêchait au chalut, mais on ne savait pas le pêcher à la ligne. Et puis, on a vu des plaisanciers en sortir. Moi j’en ramenais un ou deux de temps en temps. Chaque poisson a son endroit préféré. J’avais une ligne en tête depuis longtemps. Je l’ai finalement bricolée et ça a marché.

Quel est votre regard sur l‘état de la ressource ?

Gamin dans le port, on voyait chaque jour des retraités avec juste un pique, ramener une vingtaine de plies, de soles, sur leurs canots, à la godille. Maintenant, dans le port quelque soit la saison, impossible de pêcher une sole ou une plie. Et nous, avec une ligne, on ramenait du lieu. Je vous mets au défi d’essayer aujourd’hui.

Il y a aussi les gros bateaux norvégiens qui pêchent le poisson bleu en quantité. Il a pratiquement disparu ici. Avoir une godaille de maquereaux relèvent presque de la gageure. Alors qu’avant, les caseyeurs de l’île appâtaient leurs palangres avec du maquereau. On en pêchait toute l’année.

C’est aussi parce que comme ligneur, nous observions une diminution de la taille des bars pêchés, que nous avons créé l’association des Ligneurs de la pointe de Bretagne. Alors pour préserver la ressource, nous avons instauré une période de pause à la pêche au bar, pendant la période du frai (reproduction).

Et à mes débuts, on gagnait notre croûte avec la langouste au casier. Puis elle a été pêchée au filet. Et petit à petit, le stock a diminué, jusqu’à quasiment disparaître.

C’est pour cette raison qu’un cantonnement de langoustes a été mis en place autour de Sein ?

Oui, les alentours de l’île étaient riches en crustacés, mais on a mis tout à plat. En 2007, à l’initiative des pêcheurs, un cantonnement de langoustes a été mis en place sur la chaussée de Sein. J’ai travaillé avec l’Ifremer, on s’est appris mutuellement. L’entente entre scientifiques et pêcheurs ne peut-être que bénéfique. Sur la chaussée, il y a une zone de 5 000 hectares où la pêche est interdite.

Depuis, l’Ifremer effectue un relevé tous les ans. Il y a 12 ans, avec 6km de filets posés dans six endroits différents, nous avions trouvé une dizaine de langoustes. Le relevé a ensuite été effectué selon les mêmes procédures. Et petit à petit, nous avons constaté une augmentation. L’année dernière, nous avons pêché 650 langoustes (filets posés 48heures). Je n’en ai jamais vu autant. Il faut bien tirer des conclusions de ces petites choses, qui sont finalement de grandes choses. Mais quel boulot et combien de querelles… Par contre les plaisanciers peuvent toujours pêcher sur cette zone. Ca, ça reste une aberration.

Recueilli par Céline Diais.

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