Chez Pleine Mer, on parle généralement de pêche artisanale. Mais on adore aussi les huîtres et l’ostréiculture naturelle, simplement on connait moins bien le sujet ! Alors on a décidé de poser quelques questions à Tifenn Yvon, ostréicultrice de la Ria d’Etel. Si vous souhaitez manger des huîtres pour Noël, cet article est pour vous !
Peux-tu nous présenter ton activité en quelques mots ?
Je suis ostréicultrice en ria d’Etel. Mon mari Jean-Noël est le patron de l’entreprise familiale : sa famille est dans l’ostréiculture depuis 5 générations, c’est à dire depuis 1920 environ. Au départ, seules les huîtres plates étaient élevées : c’est une espèce d’huître originaire de la Bretagne et adaptée au climat local. Aujourd’hui, nous produisons entre 60 et 80 tonnes d’huître creuse par an, ainsi que des huîtres plates. Les huîtres sont élevées en poche et au sol. Au total, nous sommes 42 entreprises à pratiquer l’ostréiculture en ria d’Etel.
« Aujourd’hui, nous produisons entre 60 et 80 tonnes d’huître creuse par an, ainsi que des huîtres plates. »
Ce serait quoi une ostréiculture peu intensive, équivalente à la petite petite pêche artisanale en termes de durabilité ?
Selon moi, la densité d’huîtres est l’un des critères qui permet de définir si une entreprise a des pratiques durables. Légalement, le schéma des structures autorise 5000 poches par hectare. Une poche adulte contient 150 bêtes soit 12 kilos, et ensuite il y a les poches avec les huîtres plus petites. Sur nos 14 hectares, on pourrait faire au maximum 250 tonnes d’huîtres, en respectant la loi. Pour respecter le milieu, nous choisissons de faire de la faible densité, et nous produisons en réalité 3 à 4 fois moins d’huîtres que ce que le schéma des structures autorise : entre 60 et 80 tonnes par an.
Pourquoi ce choix ? La qualité plutôt que la quantité ?
Les huîtres filtrent le plancton pour se nourrir : ainsi, l’ostréiculture a un impact sur le milieu naturel. De plus, on l’oublie souvent mais l’huître creuse est une espèce importée. Pour ces deux raisons, il est pour nous indispensable de conserver de faibles densités d’huîtres, pour que notre activité reste durable. Et bien sûr, faire moins permet souvent de faire mieux, et la qualité est généralement meilleure quand les densités sont faibles. Par exemple, pour les huîtres qui sont élevées au sol, on dit souvent qu’une bonne densité signifie qu’on doit être capable de pouvoir marcher à pieds sans écraser une huître.
« Pour ces deux raisons, il est pour nous indispensable de conserver de faibles densités d’huîtres, pour que notre activité reste durable. »
Tu nous as parlé des huîtres au sol, peux tu nous en dire plus ?
Traditionnellement, les huîtres étaient élevées à même le sol, et nous continuons à pratiquer cette technique. L’élevage en poche permet d’éviter la prédation (par les dorades par exemple !), mais comme nous sommes en haut de la ria d’Etel, c’est un problème qui nous touche moins que d’autres ostréiculteurs. Ca nous permet de réaliser la moitié de notre production au sol, et l’autre moitié en poches. La technique est assez simple à comprendre, on sème les huîtres comme on le ferait dans un champ. Quand elles ont atteint leur taille adulte, on les récolte à l’aide d’une drague, puis avec un râteau fourche pour celles qui restent. Cette méthode est assez intensive en travail : elles accumulent beaucoup de végétation, à la différence de celles qui sont en poche, qui sont elles retournées régulièrement. Les huîtres élevées au sol sont donc brossées une à une avec une avec une brosse à chiendent, avant d’être calibrées. On peut ensuite décider de les laisser terminer leur croissance en poche, ou de les remettre au sol si elles sont encore trop petites.
Peux tu nous expliquer la reproduction de l’huître ?
La maturation sexuelle des huîtres est en corrélation avec l’élévation de la température de l’eau. Pour résumer, quand l’eau se réchauffe, l’huître produit ses gonades. L’huître creuse (Crassostrea gigas) nécessite une eau plus chaude, et sa reproduction est beaucoup plus aidée au Sud de la Loire. L’huître plate (Ostrea Edulis) est endémique de la Bretagne et n’a pas besoin d’un eau aussi chaude que la creuse pour arriver à maturité sexuelle.
Pour ce qui est de la fécondation, encore une fois c’est différent pour la creuse et la plate. Dans les deux cas, la laitance est expulsée dans l’eau de mer aux alentours du mois de juillet, souvent suite à un choc thermique. Pour les huîtres creuses, les ovocytes sont eux aussi expulsés dans l’eau de mer, et la fécondation a lieu dans la colonne d’eau. La larve va ensuite se fixer sur un support. Chez l’huître plate, la fécondation a lieu dans la coquille, et la larve y restera pendant environ 10 jours. C’est ce qu’on appelle la laitance ardoisée.
Et la reproduction a un impact sur la consommation ?
Chez les ostréiculteurs traditionnels, en général on laisse l’huître se reposer pendant la reproduction, c’est à dire pendant l’été. C’est la période où les huîtres sont laiteuses, ce qui rebute souvent les consommateurs. Juste après l’été, l’huître est souvent maigre : elle a dépensé une grande partie de ses réserves dans la reproduction. Mais on peut bien sûr la consommer. En général, le pic des ventes est au moment des fêtes, l’huître a eu quelques mois pour se remettre de la reproduction, c’est alors un très beau produit. Enfin, la meilleure période pour consommer une huitre charnue mais non laiteuse, c’est le printemps : suite aux bloom phytoplanctoniques, l’huître a repris des forces et elle est prête à investir son énergie lors de la saison de la reproduction qui approche.
« Chez les ostréiculteurs traditionnels, en général on laisse l’huître se reposer pendant la reproduction, c’est à dire pendant l’été. »
Que signifie « captage naturel » ?
Comme je l’ai expliqué, les larves d’huîtres vont se fixer sur un support suite à la fécondation. Cette fixation se fait naturellement. Quand on pose des collecteurs dans l’eau afin que les larves s’y fixent, on parle de captage naturel. Autrement dit l’huître se reproduit naturellement et l’homme la récupère quand elle se fixe sur des collecteurs déposés dans l’eau, en juin, au début de la période de reproduction. Une fois que l’huître s’est fixée, on la laisse grandir, et on peut ensuite récupérer les naissaims dès qu’il y a une coquille.
Comme expliqué plus haut, l’huitre creuse préfère les eaux plus chaudes et son captage naturel est plus compliqué en Bretagne. Nous avons donc fait le choix de travailler avec un producteur des Charentes, spécialisé dans le captage naturel. Au mois d’avril, nous venons chercher nos huîtres, qui font alors la taille d’un ongle. Il faut alors attendre environ 3 ans pour obtenir une huître commercialisable.
Cependant, toutes les huîtres ne sont pas captées naturellement. Aujourd’hui, l’homme maitrise le cycle biologique de l’huître dans sa totalité. On peut donc produire des huîtres en écloserie, via une fécondation in vitro. Dans notre entreprise, nous préférons le captage naturel, qui permet une plus grande diversité génétique. Enfin, lors des premiers stades de leur développement, les huîtres d’écloserie ne sont nourries qu’avec trois espèces de plancton différentes, contre des milliers dans la nature.
On parle souvent des huîtres triploïdes : c’est quoi exactement ?
L’huître triploïde est une huître qui possède 3 chromosomes de chaque type, au lieu d’une paire (diploïde). Cette huitre est donc stérile, ce qui lui permet de mettre toute son énergie dans la croissance et de ne pas être laiteuse en été. Une huitre triploïde devient généralement adulte en deux ans (contre 3 pour une huître diploïde). La coquille d’une triploïde est souvent plus friable, mais le goût est le même.
Malheureusement, dans les faits, les triploïdes ne sont pas toutes stériles, et elles sont beaucoup plus compétitives que les huîtres diploïdes naturelles. Et pour produire une huître triploïde, il faut qu’une huître tétraploïde (4 chromosomes de chaque type) féconde une huitre diploïde. Or si une huître tétraploïde se retrouve dans le milieu naturel, il est prouvé qu’elle éradique toutes les huîtres naturelles en 3 générations : en se reproduisant avec les huîtres diploïdes, elle les rend triploïdes et donc stériles.
Autre conséquence de la production d’huître triploïde : la perte des métiers de l’ostréiculture : le captage naturel est un métier traditionnel qui doit perdurer ! Sans parler du surplus de production qui fait automatiquement baisser les prix de toutes les huîtres.
« Il est préférable de manger des huîtres durables, de bonne qualité une fois de temps en temps, et y mettre le prix, plutôt que de manger fréquemment une huître qui impacte l’environnement et qui coûte moins cher. »
Pour conclure, ça serait quoi tes conseils pour manger des huîtres produites durablement ?
L’idéal est d’éviter de manger des huîtres en été, et si possible d’éviter les huîtres triploïdes. Il est préférable de manger des huîtres durables de bonne qualité une fois de temps en temps, et y mettre le prix, plutôt que de manger fréquemment une huître qui impacte l’environnement et qui coûte moins cher. Et puis bien sûr, l’activité ostréicole est bien souvent menacée par la pollution de l’eau ou l’imperméabilisation des sols : il ne s’agit pas seulement de bien manger des huîtres, mais de lutter contre toutes les menaces qui pèsent sur le littoral et sur l’ostréiculture traditionnelle.
Une démarche intéressante consiste à acheter des huîtres en circuit court : mieux on rémunère le producteur, plus son entreprise est en mesure de proposer des produits de qualité avec peu d’impact sur l’environnement. Il y a une grande diversité de métiers dans l’ostréiculture (captage, croissance, vente, etc.) et ces métiers font vivre le littoral : c’est au consommateur de les soutenir … Pour les fêtes, faites vous plaisir avec des huîtres naturelles !
Alors, pour compléter la « carte des circuits courts dans la pêche », bientôt une carte des ostréiculteurs durables qui vendent leurs huîtres en direct du consommateur ? Dites nous en commentaire ce que vous en pensez, et n’oubliez pas de partager cet article avec vos amis ! Un grand merci à Tifenn d’avoir répondu à nos questions.
Credits Photos : Tifenn Yvon
Article sur les huîtres triploïdes très intéressant. Mais malheureusement, sauf erreur, il n’est pas possible de savoir quel type d’huître est vendu car cette information ne figure pas sur l’étiquette prix…
C’est vrai que ce n’est pas souvent indiqué : l’idéal est de le demander au poissonnier !