Crise de la pêche : quelles perspectives pour le secteur ?

Crise de la pêche : quelles perspectives pour le secteur ?

Introduction

La pêche française traverse actuellement une crise majeure. Ces derniers mois, on a beaucoup entendu parler du problème du gasoil. Pourquoi la filière pêche française est-elle aussi dépendante aux subventions énergétiques ? Comment changer de paradigme et proposer un modèle plus résilient ? La première partie de cet article propose quelques éclairages sur la crise du gasoil, et la deuxième partie propose cinq grandes orientations pour sortir de la crise. 

 1 . La crise de la pêche

A. La crise de l’énergie

1. La défiscalisation du gasoil

Tout d’abord, il est indispensable de rappeler que le gasoil est défiscalisé pour les pêcheurs professionnels, c’est-à-dire qu’ils ne payent pas de taxe dessus (ni TVA, ni TICPE). Il s’agit donc d’une subvention indirecte du secteur de la pêche puisque l’Etat perd fictivement de l’argent en ne récupérant aucune taxe sur le gasoil acheté par les pêcheurs. En d’autres termes, l’argent public, donc celui des impôts, permet de financer une partie du gasoil utilisé pour la pêche.

Cette défiscalisation pose bien sûr de grosses questions : plus un armement consomme de gasoil, plus il fait des économies. Par exemple, un chalutier hauturier de 24 mètres qui consomme deux mille litres de gasoil par jour va économiser 40 fois plus d’argent avec la défiscalisation qu’un caseyeur de 10 mètres qui consomme 50 litres de gasoil par sortie. Pour un armement industriel de plusieurs gros bateaux, cette défiscalisation peut représenter des millions d’euros d’économie chaque année. Sans cette défiscalisation du gasoil, c’est simple, le secteur de la pêche chalutière hauturière mettrait la clef sous la porte du jour au lendemain.

En effet, le chalut (engin actuellement largement majoritaire pour la pêche hauturière) est un engin tracté sur le fond, ce qui nécessite une force de traction très importante, et donc une forte consommation de gasoil. Pour le secteur de la pêche hauturière, le gasoil représente actuellement entre 40% et 50% des charges d’exploitation. Autant dire que sans la défiscalisation du gasoil, ce secteur mourrait très rapidement, à moins d’une augmentation majeure du prix du poisson.

Il n’est certainement pas souhaitable que la pêche hauturière s’arrête. Ce secteur représente beaucoup d’emplois, en mer comme à terre, et les apports des chalutiers hauturiers font vivre de nombreuses criées. Cependant, il est indispensable de questionner la politique du tout chalut qui rend la pêche hauturière totalement accroc au gasoil et à sa défiscalisation. 

Certaines ONGs environnementales posent actuellement les questions suivantes : “Est-il souhaitable de subventionner une technique de pêche autant décriée par l’opinion publique pour ses impacts sur les fonds ? A l’heure de la transition énergétique, cet argent ne serait-il pas mieux investi dans le développement de techniques de pêche moins coûteuses en énergie ?”. Ces questions sont douloureuses à entendre pour les marins-pêcheurs, et l’arrêt de la défiscalisation du gasoil du jour au lendemain mettrait l’ensemble de la filière pêche en danger de mort. Cependant, il est indispensable de rester pragmatique quand on regarde l’avenir : les légitimes préoccupations environnementales finiront par remettre en cause la défiscalisation du gasoil et la filière doit s’y préparer dès aujourd’hui. 

Quand on voit déjà l’impact de la suppression des aides gasoil (que nous allons aborder dans le chapitre suivant) sur le secteur de la pêche, il est indispensable d’anticiper la possible suppression de la défiscalisation du gasoil : pour l’heure, cette évolution est impensable. Sur le long terme, elle est inévitable. Il faut donc la préparer pour qu’elle fasse le moins de dégâts possible. 

2. Les aides gasoil

A cette subvention indirecte s’ajoutent actuellement des aides supplémentaires, mises en place par le gouvernement français depuis mars 2022.

En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine, le prix du gasoil a augmenté, et avait atteint un pic en janvier dernier, avant de redescendre progressivement. Mais depuis cet été, avec la diminution des exportations russes, et la décision de l’Arabie Saoudite de diminuer sa production, les prix sont à nouveau à la hausse.

Depuis février dernier, l’aide carburant mise en place par le gouvernement correspondait à une remise de 20 centimes par litre de gasoil. Cette aide avait même plafonné à 35 centimes par litre de gasoil au début de la guerre en Ukraine. Au total, la mise en place de cette aide a mobilisé 75 millions d’euros d’argent public.

En septembre dernier, Hervé Berville, secrétaire d’Etat à la Mer, annonçait la fin des aides gasoil à partir du 15 octobre. Entre-temps, les représentants des comités des pêches ont écumé les plateaux de télévision et ont fait savoir leur mécontentement, à grand renfort d’interventions larmoyantes, voire populistes. Lors des Assises de la Pêche à Nice le 22 Septembre dernier, les représentants de la filière pêche ont quitté la salle pendant le discours d’Hervé Berville, qui présentait son plan de transition pour la pêche. Cette action médiatique avait pour but de mettre la pression sur le secrétaire d’Etat à la pêche pour qu’il prolonge les aides gasoil. 

Cette stratégie court-termiste semble avoir réussi : suite à ce “feuilleton de l’automne” Hervé Berville a promis le prolongement des aides gasoil … Mais pour combien de temps ? 

Dans l’immédiat, il fallait évidemment trouver des solutions pour que les équipages puissent travailler. Mais à force de se concentrer sur « l’immédiat », la dépendance de la pêche aux énergies fossiles reste la même, et les crises se répètent. Pour cette fois, l’aide a été prolongée. Mais quand aura lieu la prochaine crise ? Dans 3 mois ? Dans 6 mois ? Le gouvernement finira par supprimer les aides gasoil, et si rien n’est anticipé, la situation sera à nouveau très compliquée. 

D’ailleurs, Emmanuel Macron a annoncé il y a quelques jours que les aides gazoil pour la pêche seraient prolongées jusqu’au 30 juin 2024. Une manière de s’assurer du soutien des pêcheurs en vue des élections européennes de Juin prochain ? 

Au-delà des aides gazole, il est très probable que la défiscalisation du gazole prenne elle aussi fin dans quelques années. Comment anticiper les problèmes et progressivement rendre la filière plus résiliente et moins gourmande en énergies fossiles ? Nous allons tenter d’y répondre dans la deuxième partie de cet article. 

B. Les autres crises auxquelles la pêche est confrontée

La crise à laquelle est confrontée l’industrie de la pêche est une crise durable et multifactorielle. Cet article a permis de détailler les aspects de la crise relatifs à l’énergie, mais on peut citer de nombreux points de tension, que nous avons longuement analysé dans un article datant de février 2023. Parmi le facteurs qui contribuent à maintenir le secteur en crise, on peut citer : 

·       Les conséquences du Brexit

·       Le débat sur l’interdiction des arts traînants dans les AMP

·       Les fermetures spatio-temporelles dues aux prises accessoires de cétacés

·       Le manque de marins et de primo-installants 

·       La surpêche et compétition avec la pêche industrielle

Pour plus d’analyses de ces différents éléments, nous vous invitons à consulter l’article précédemment cité. La suite du présent article a pour objectif de proposer des solutions pour sortir de cette crise et transformer le secteur de la pêche. 

2. Des pistes de solution pour sortir de la crise

Dans la suite de cet article, Pleine Mer dégage 5 pistes de solutions pour sortir de cette crise dans le secteur de la pêche : 

A. La transition énergétique des bateaux de pêche 

Selon un rapport publié par Our Fish, la flotte de pêche de l’UE bénéficie chaque année d’un allégement fiscal compris entre 759 millions et 1,5 milliard d’euros sous forme d’exonérations des taxes sur les carburants, alors que sa consommation de carburant produit près de 7,3 millions de tonnes de CO2. Pour ce qui est des aides carburant, on parle de 75 millions d’euros.

Quand on voit la quantité d’argent public investie pour maintenir un modèle qui est d’ores et déjà confronté à des crises régulières, on est en droit de se demander si tout cet argent ne serait pas mieux investi dans la transition vers des techniques de pêche moins consommatrices en gasoil que le chalut. Il ne s’agit pas de “casser les chalutiers”, ou de multiplier les plans de sortie de flotte, mais bien de donner des solutions de sortie de crise aux patrons pêcheurs qui ont choisi ce métier. Pour celà, il est indispensable d’investir massivement dans la recherche et le développement, en insistant sur les deux axes suivants : 

Les comités des pêches parlent beaucoup du moteur à hydrogène. Cependant, les modèles de moteur à hydrogène actuellement sur le marché ne sont pas assez puissants pour tirer un chalut. Il paraît donc illusoire d’espérer maintenir le modèle de la pêche hauturière en comptant uniquement sur le moteur à hydrogène. Il est indispensable d’envisager un changement combiné des moteurs et des engins de pêche pour espérer faire face à la crise énergétique qui se profile. Cette transition doit être envisagée avant que le prix du gasoil ne deviennent trop élevé si on veut éviter d’enchaîner les plans de sortie de flotte. 

Au regard des moteurs qui équipent actuellement la flotte de pêche française, on peut tout à fait imaginer le développement de carburants alternatifs, comme le recyclage des huiles de friture alimentaires en biodiesel qui alimente désormais plusieurs bateaux artisans de l’île d’Oléron, grâce à l’association Roule ma frite. D’autres solutions peuvent être envisagées comme les projets de gasoil de synthèse à partir d’algues, ces projets très intéressants et prometteurs doivent faire l’objet de R&D soutenue par les instances de la pêche Ces possibilités ont l’avantage de fonctionner en conservant les moteurs thermiques actuels, ce qui en fait d’excellentes solutions de transition. Reste à investir rapidement dans leur développement : qu’on le veuille ou non, les ressources en pétrole s’épuisent rapidement et les pêcheurs ont tout intérêt à s’adapter avant de ne plus pouvoir sortir en mer. 

Au-delà des carburants alternatifs pour la transition, le vent est une source d’énergie dont le secteur de la pêche a longtemps été intégralement dépendant. Puis, avec le développement du moteur thermique, en quelques dizaines d’années, le secteur de la pêche a totalement oublié son histoire … Avec la raréfaction du pétrole et le réchauffement climatique, la voile semble pourtant être une solution d’avenir pour le secteur de la pêche. 

Il ne s’agit pas de revenir à la pêche du début du XIXe siècle : l’avènement du moteur thermique a aussi permis une véritable amélioration des conditions de vie à bord, et une diminution drastique des risques encourus par les équipages. Ces progrès doivent être préservés, et il n’est pas question de remettre en cause la sécurité des travailleurs de la pêche pour pratiquer une pêche plus écologique. Simplement, si on veut continuer à pêcher dans un monde où le pétrole est toujours plus cher, on a tout intérêt à se tourner vers le vent, énergie gratuite et entièrement renouvelable. 

Le projet Skravik par exemple, ne manque pas d’ambition en lançant une entreprise de pêche à la voile. Ce type de projet doit se développer afin d’expérimenter des modes de pêche neutres en carbone. Et même si le terme de “pêche à la voile” peut faire rire ou faire peur peur à une partie de la profession, le vent semble être une énergie d’avenir si l’on veut espérer maintenir une flotte de pêche malgré les tensions sur le prix de l’énergie.  

Il est indispensable d’investir massivement dans des projets expérimentaux, dans de la recherche et développement, et dans la formation des marins pour permettre à ces projets expérimentaux de se généraliser. Comme expliqué précédemment, il ne s’agit pas de diminuer la sécurité à bord, et la pêche à la voile du futur n’aura rien à voir avec celle du XIXe siècle. Enfin, développer la pêche à la voile s’accompagne naturellement d’une évolution vers des techniques de pêche plus respectueuses de l’environnement. 

De manière générale, l’innovation en matière d’efficacité énergétique doit absolument s’accompagner d’une évolution des techniques de pêche : il est nécessaire d’être honnête avec les pêcheurs artisans : même si c’est difficile à entendre, le chalutage n’est pas viable dans un monde sans pétrole. C’est pourtant ce monde qui nous attend à plus ou moins long terme. Si l’on veut continuer de pêcher, il est indispensable de remettre progressivement en cause notre dépendance au pétrole, et donc notre dépendance aux engins traînants. 

B. Faire évoluer les techniques de pêche 

Même si le mot inventé par Didier Gascuel fait peur à beaucoup de monde, il est indispensable de préparer et d’anticiper la « déchalutisation » du secteur de la pêche. Il ne s’agit pas de détruire les chalutiers et de stigmatiser ceux qui utilisent cet engin de pêche. Mais soyons honnête, le modèle de la pêche hauturière au chalut ne survivra pas aux crises énergétiques récurrentes. Si on veut préserver une pêche hauturière rentable, pourvoyeuse d’emploi et de protéines animales bon marché, il est nécessaire de réinventer intégralement le secteur en transformant les techniques de pêche pour consommer beaucoup moins de gasoil. Il ne s’agit pas de casser les chalutiers existants, mais bien de les transformer en bateaux qui puissent continuer à pêcher sur le long terme. Pour que cette transformation de la flotte soit cohérente, il est aussi indispensable de geler l’investissement dans de nouveaux chalutiers. 

Cette transition des techniques de pêche fait partie des objectifs du projet « Mer de Lien » que nous développons au sein de Pleine Mer : soutenir l’installation de jeunes pêcheurs aux techniques de pêche durables et innovantes, mais aussi soutenir la transformation de la flotte de pêche pour l’adapter aux défis du changement climatique. Nous sommes actuellement en train d’étudier en profondeur les différentes formes administratives que pourrait prendre une telle structure, et nous espérons installer les premiers pêcheurs dans les prochaines années. 

Ce projet est en phase d’étude et ne suffira pas à révolutionner la flotte de pêche française mais une chose est sûre : à long terme, il est indispensable de changer le modèle du « tout chalut avec carburant subventionné » si l’on ne veut pas enterrer la pêche hauturière française à très court terme. 

Et la diversification des techniques de pêche n’a pas pour seul objectif de remplacer progressivement le chalut. Combien sont les ligneurs, caseyeurs et fileyeurs qui auraient besoin de plus de sécurité financière, particulièrement pendant la saison hivernale. 

Dans ce contexte, il est indispensable de développer massivement la pêche en plongée, qui consomme très peu d’énergie et a très peu d’impact sur l’environnement. Pour le moment, la technique est anecdotique en volume et en effectif : en Bretagne par exemple, on compte une dizaine de licences pour les ormeaux, une dizaine de licences pour les coquilles Saint-Jacques et seulement deux licences pour les oursins. 

Il est donc indispensable de progressivement remplacer des licences “drague” par des licences “plongée”. Malheureusement, une partie de la profession et de ses représentants bloque et ralentit l’ouverture de licences “plongée” pourtant compatibles avec les actuels dragueurs. Est-ce une position dogmatique anti-plongée ? Une crainte de se voir remplacer ? Nous pensons au contraire qu’il est possible et même souhaitable qu’une partie des dragueurs d’aujourd’hui deviennent les plongeurs de demain.

La plongée a de nombreux avantages pour les pêcheurs artisans : 

Au-delà de la coquille Saint-Jacques et de l’ormeau, on peut imaginer une grande diversité d’espèces pêchées en plongée : oursins, araignées, étrilles, praires, palourdes … Il est donc nécessaire que les comités des pêches et les commissions ouvrent des licences afin de soutenir la transition du métier et la trésorerie des entreprises de pêche artisanale. Enfin, on peut tenir un discours similaire en tout point quand il s’agit du développement d’autres techniques de pêche comme les nasses à poissons. 

C. Partager la ressource équitablement 

On ne le répètera jamais assez, le problème n’est pas la taille du gâteau mais la manière de le partager. On sait depuis les années 90 que la pêche mondiale a atteint un pic avec environ 90 millions de tonnes pêchées chaque année. Qu’on le veuille ou non, on ne pourra pas pêcher plus. Il est donc évidemment indispensable de réguler la pêche avec des limites de capture (les quotas) pour éviter la surpêche : trop de bateaux sur l’eau et pas assez de poissons dans l’eau. 

Le problème pour les pêcheurs artisans, c’est que ces quotas sont actuellement très mal répartis. La pêche industrielle s’accapare actuellement la majorité du gâteau, ne laissant que quelques miettes aux pêcheurs artisans. Dans certains pays comme les Pays Bas, le modèle de répartition a quasiment fait disparaître la pêche artisanale : 3 multinationales s’y partagent 99,95% des quotas de pêche, tandis qu’il ne reste que 0,05% des quotas pour les pêcheurs artisans. Et l’appétit de ces entreprises comme Cornelis Vrolijk et Parleviet van der Plaas ne s’arrête pas aux frontières néerlandaises puisqu’elles possèdent actuellement de nombreux armements français comme France Pélagique, la Compagnie des Pêches de Saint-Malo ou la Compagnie Française du Thon Océanique, ce qui leur permet d’accaparer les quotas français correspondants . 

Dans la même idée, sur la côte méditerranéenne, les quelques familles qui possèdent les senneurs industriels se partagent 90% du quota de thon rouge, thon rouge qui est engraissé dans de gigantesques cages avant d’être exporté au Japon. Ce thon rouge pourrait être bien mieux valorisé localement, s’il était pêché à l’hameçon par les pêcheurs artisans. 

Cette injustice est dénoncée depuis des années par les pêcheurs artisans. Le système de répartition des quotas de pêche français repose sur les “antériorités de capture” : un bateau qui a beaucoup pêché une certaine espèce pendant des années de référence se verra attribuer plus de quotas qu’un bateau qui a peu pêché la même espèce. Ce système entraîne inévitablement une spéculation qui fait augmenter artificiellement le prix des bateaux de pêche bien dotés en antériorités. Et bien sûr, ce sont les riches industriels qui tirent leur épingle du jeu en achetant un maximum de bateaux pour récupérer toujours plus de quotas, pendant que les pêcheurs artisans se partagent les miettes. Ces derniers ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Montpellier. Suite à ce recours, l’arrêté du 10 février 2017 répartissant le quota français de thon rouge a été annulé par le tribunal administratif de Montpellier. L’Etat a bien sûr fait appel de cette décision, mais ce jugement pourrait remettre en cause l’injuste système de répartition des quotas. 

Pour donner suite à ce travail, Pleine Mer s’associe actuellement à un collectif d’associations, afin de présenter un recours en ayant  saisi le juge administratif pour demander une répartition transparente et équitable des quotas de pêche. Par ce recours, nous espérons que la justice permettra d’amener plus de transparence sur l’allocation des quotas de pêche, afin de permettre leur juste répartition. 

D. Mieux valoriser les produits de la Mer 

“Pêcher moins et vendre mieux”, c’est la devise du projet “Pêche locale”, et le premier projet réalisé de Pleine Mer qui a abouti à la publication d’une carte interactive de la vente directe dans la pêche, consultable gratuitement en ligne. 

Le système des criées fonctionne actuellement avec des enchères descendantes, ce qui permet aux acheteurs de tirer les prix vers le bas. Les pêcheurs se retrouvent donc “price taker” du poisson qu’ils ont pêché. Bien sûr les criées ont une importance fondamentale pour valoriser les produits de la mer, mais la mainmise de quelques gros mareyeurs peu scrupuleux sur le système d’achat du poisson pose un vrai problème. Les pêcheurs vendent mal leur poisson, et entrent donc dans une logique de volume : puisque le prix sera certainement mauvais, il faut pêcher le plus possible, au détriment de la ressource. 

Dans ce contexte, la vente directe est une alternative qui permet au pêcheur de valoriser sa pêche localement, à un prix fixe. Ainsi, le prix de vente est généralement plus élevé pour le pêcheur par rapport au prix en criée, et le prix d’achat plus faible pour le consommateur par rapport aux prix en magasin. Bien sûr, la vente directe n’absorbera jamais tous les volumes qui sont écoulés en Criée, mais c’est une méthode de diversification des modes de ventes qui augmente la résilience des entreprises de pêche, comme tout le monde a pu le constater lors de la crise du COVID-19. La vente directe permet  de mieux valoriser ses prises et donc de moins pêcher en privilégiant la qualité exigée par le rapport direct au consommateur. 

Des systèmes d’achat en gré à gré comme l’entreprise Poiscaille ont des vertus similaires. En assurant un prix fixe au pêcheur à l’année, de telles initiatives fournissent l’assurance au pêcheur de bien valoriser sa pêche, tout en exigeant une qualité optimale du poisson et des méthodes de pêche respectueuses de l’environnement. Les retours des pêcheurs artisans membres du réseau Poiscaille sont extrêmement positifs et on ne peut que se réjouir de la réussite d’une initiative aussi salvatrice pour la pêche artisanale.  

Enfin, on pourrait imaginer le développement d’Indications Géographiques Protégées (IGP), d’Appellations d’Origines Controlées (AOC) et autres signes de qualité. Il y a maintenant plus de 20 ans que les l’association des Ligneurs de la Pointe de Bretagne lançait son fameux pins, qui a permis au poisson de ligne de se démarquer dans les criées. En Pays Basque, le pins “Merlu de Ligne” a lui aussi permis d’augmenter le prix du poisson à une époque difficile. Mais de telles démarches collectives sont malheureusement rares alors que leur développement aurait des effets positifs sur la valorisation des produits de la mer et sur l’image du métier. 

E. Améliorer l’image du métier pour permettre un renouveau générationnel 

“Il n’y a plus de matelots”, “Il n’y a plus de jeunes pour s’installer”, “Plus personne ne veut devenir-marin pêcheur” … au delà de ces tristes constats, quelle analyse peut-on porter sur la mauvaise image du métier de marin-pêcheur ? 

Si le métier n’attire plus les jeunes, c’est d’abord parce que les conditions de travail y sont mauvaises. Peut-on sincèrement reprocher aux jeunes de vouloir voir grandir leurs enfants plutôt que de travailler 70 heures par semaine sur des bateaux vieux de 30 ans. Il est absolument indispensable d’améliorer les conditions de travail à bord des navires

Au delà des conditions de travail, l’image du métier dans l’opinion publique est mauvaise : impacts de la pêche sur l’environnement, dépendance de la pêche aux énergies fossiles, forte présence des idées d’extrême droite dans le monde de la pêche : cette mauvaise image du métier dans l’opinion publique ne donne pas envie aux jeunes de rejoindre la profession. C’est donc au secteur de la pêche de se remettre en cause, pas aux jeunes travailleurs : sans marins-pêcheurs, pas de pêche. 

Ce sont les jeunes qui permettront au métier d’évoluer vers un meilleur respect de l’environnement, vers des bateaux peu gourmands en énergie fossile, et vers plus de tolérance. La profession a donc le choix entre le cercle vicieux du repli sur soi … ou le cercle vertueux du changement positif qui sera accéléré par l’arrivée de jeunes pêcheurs aux idées fraîches et innovantes ! 

Ce changement d’image du métier passera par les quatre points cités précédemment : 

Ces changements permettront aussi d’améliorer l’image de la pêche dans l’opinion publique, et donc d’attirer plus de consommateurs vers la pêche française, améliorant ainsi les possibilités de valorisation du poisson pour les jeunes qui s’installent. 

Enfin quand on parle de renouveau générationnel, il est indispensable de soulever la question du genre dans la pêche. Nombreuses sont les femmes à vouloir travailler à bord des bateaux de pêche. Malheureusement, les conditions de travail à bord et le sexisme du milieu de la pêche en décourage plus d’une. Il est donc indispensable de mener un travail de fond sur la question du genre dans la pêche : modernisation des bateaux, changement de mentalités à bord, etc. 

Et la question est la même pour les compagnes des marins-pêcheurs : beaucoup de femmes ne veulent plus s’occuper gratuitement des enfants et de la maison pendant que les hommes sont en mer, et elles ont bien raison. Pêcher moins, c’est aussi avoir plus de temps pour sa famille et permettre à chaque membre du ménage de s’épanouir selon ses besoins. Et pour les compagnes qui travaillent au sein de l’entreprise de pêche, leurs droits et leur rémunération doivent être équivalents à ceux de leur mari. 

Conclusion 

La survie de la pêche artisanale française dépendra de sa capacité à réagir intelligemment aux crises majeures qui traversent actuellement la profession. Cet article a pour but de donner quelques orientations simples qui permettraient selon nous d’améliorer les conditions de vie des marins-pêcheurs, l’état de la ressource et l’image du métier. 

L’avenir est entre les mains des professionnels, et Pleine Mer ne prétend pas posséder toutes les solutions à cette crise complexe. Beaucoup de pêcheurs travaillent déjà à mettre en place cette fameuse transition, et il faut désormais amplifier cette dynamique en faisant pression sur les instances représentatives et la classe politique.

1 commentaires :

  1. DOMINIQUE DIRASSAR dit :

    Bonjour,
    il y a beaucoup de vrai dans votre article , mais si le chalutage fait un mal considérable à la ressource que dire des fileyeurs ? je ne parle pas ici des bateaux en « petite pêche » mais bien des fileyeurs moins de 12m et pour d’autres beaucoup plus dont le matériel mis en pêche ne peux dans certains cas contenir dans les parcs à filets ? Des longueurs de filets qui semble surréaliste ! Comment voulez vous attirer des « jeunes » pour faire carrière dans ce métier ? et la ressource à ce rythme sera t’elle présente dans quelques années ?
    Quelques soit le métier , chalutage ; fileyeurs; même à la palangre les jeunes patrons sont (sauf quelques rares exceptions) dans une logique de profits et de spéculation . IL faudrait tout revoir le chalutage , mais aussi pour les fileyeurs les maillages la longueur ou le nombre de filets /par pers embarquées , pour les autres métiers aussi . Nombre d’hameçons , de casiers etc…….
    Combien seraient prêt à l’accepter ?
    Pêcher moins vendre mieux . Faut voir aussi si la population est prête à payer encore plus cher son poisson ?
    La transition écologique à bon dos , le « bon pour la planète  » aussi . Que chacun veuille faire des économies rien de plus normal . Mais l’essentiel pour moi n’est pas là , le plus important c’est de protéger autant que faire ce peut la ressource .

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